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SUPPLÉMENT AU SIÈCLE DE LOUIS XIV.

mais la justice venge l’honneur des citoyens si criminellement attaqués.

Où a-t-il trouvé que le grand-père de feu Mme la maréchale de N.......[1] avait été convaincu de fausse monnaie et d’assassinat (comme il le dit page 331 du tome II) ? Si un citoyen, qui n’a pas été un homme public, un homme livré à l’équité de l’histoire, avait en effet été coupable de ces crimes, il faudrait les taire ; et si on a l’âme assez basse et assez méchante pour troubler ainsi les cendres des morts, sans aucune apparence d’utilité, on est tenu au moins d’apporter les preuves les plus authentiques, et avec ces preuves on est encore bien condamnable.

Ce La Beaumelle, en faisant des mauvais livres, a trouvé le moyen d’intéresser à sa personne vingt souverains et cent familles.

N’est-il pas encore bien digne d’une histoire de Louis XIV de mettre au bas d’une page, en note, que j’ai été convaincu de plagiat dans je ne sais quels vers que je fis, il y a treize ou quatorze ans, pour une jeune princesse, aujourd’hui reine[2] ? Que Louis XIV a-t-il à démêler avec ces vers ? Ils n’étaient pas plus faits pour être publics que ce qu’on dit dans la conversation. Il échappe tous les jours de ces petites pièces, dont le principal mérite est dans l’à-propos et dans les circonstances où elles sont faites. Ceux qui en sont les auteurs n’en font nul cas, et ne les conservent jamais. Les écumeurs de la littérature les recueillent avec avidité, et en chargent leurs feuilles comme les laquais répètent et gâtent dans l’antichambre ce qu’ils ont mal entendu à la porte. Un nommé Pitaval s’avisa d’attribuer cette petite pièce à feu Lamotte ; La Beaumelle répète cette sottise de Pitaval, dans une note sur Louis XIV ; et il se trouvera encore quelque compilateur qui, dans un dictionnaire, à l’article Pitaval, ne manquera pas de relever cette anecdote, pour l’utilité du genre humain.

C’est avec la même bassesse que cet homme imagine que « M. de Voltaire a vendu chèrement le Siècle de Louis XIV au libraire Conrad Walther, qui paye si mal ». Il avait droit apparemment de tirer une juste rétribution du fruit d’un travail si long et si pénible ; mais il ne l’a pas fait. M. de Francheville, conseiller aulique du roi de Prusse, voulut bien présider à la première édition de Berlin, laquelle il céda à Conrad Walther au

  1. Constant d’Aubigné, grand-père de la maréchale de Noailles.
  2. La princesse Ulrique de Prusse, depuis reine de Suède ; voyez la note 1, tome XIV, page 456. — Voyez, tome VIII, page 517, les stances à la princesse Ulrique de Prusse, depuis reine de Suède.