Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome15.djvu/164

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(1715) pour mieux sentir par quelle fatalité aveugle les affaires de ce monde sont gouvernées, il faut remarquer que l’empire ottoman, qui avait pu attaquer l’empire d’Allemagne pendant la longue guerre de 1701, attendit la conclusion totale de la paix générale, pour faire la guerre contre les chrétiens. Les Turcs s’emparèrent aisément en 1715 du Péloponnèse que le célèbre Morosini, surnommé le Péloponésiaque, avait pris sur eux vers la fin du xviie siècle, et qui était resté aux Vénitiens par la paix de Carlowitz. L’empereur, garant de cette paix, fut obligé de se déclarer contre les Turcs. Le prince Eugène, qui les avait déjà battus autrefois à Zenta, passa le Danube, et livra bataille près de Pétervaradin, au grand visir Ali, favori du sultan Achemet III, et remporta la victoire la plus signalée.

Quoique les détails n’entrent point dans un plan général, on

    prétendus Mémoires de madame de Maintenon, et dans les notes de La Beaumette, insérées dans son édition du Siècle de Louis XIV, à Francfort, le lecteur ne sera point surpris que cet auteur ait osé avancer que la grand’salle était remplie d’officiers armés sous leurs habits. Cela n’est pas vrai : j’y étais ; il y avait beaucoup plus de gens de robe et de simples citoyens que d’officiers. Nulle apparence d’aucun parti, encore moins de tumulte. Il eut été de la plus grande folie d’introduire des gens apostés avec des pistolets, et de révolter les esprits, qui étaient tous disposés en faveur du duc d’Orléans. Il n’y avait autour du palais où l’on rend la justice qu’un détachement des gardes françaises et suisses. Cette fable que la grand’salle était pleine d’officiers armés sous leurs habits est tirée des Mémoires de la régence et de la Vie de Philippe, duc d’Orléans, ouvrages de ténèbres, imprimés en Hollande et remplis de faussetés.

    L’auteur des Mémoires de Maintenon avance que « le président Lubert, le premier président de Maisons, et plusieurs membres de l’assemblée, étaient prêts de se déclarer contre le duc d’Orléans ».

    Il y avait en effet un président de Lubert, mais qui n’était que président aux enquêtes, et qui ne se mêlait de rien. Il n’y a jamais eu de premier président de Maisons. C’était alors Claude de Mesmes, du nom d’Avaux, qui avait cette place ; M. de Maisons, beau-frère du maréchal de Villars, était président à mortier, et très-attaché au duc d’Orléans. C’était chez lui que le marquis de Canillac avait arrangé le plan de la régence avec quelques autres confidents du prince. Il avait parole d’être garde des sceaux, et mourut quelque temps après. Ce sont des faits publics dont j’ai été témoin, et qui se trouvent dans les Mémoires manuscrits du maréchal de Villars.

    Le compilateur des Mémoires de Maintenon ajoute à cette occasion que dans le traité de Rastadt, fait par le maréchal de Villars et le prince Eugène, « il y a des articles secrets qui excluent le duc d’Orléans du trône ». Cela est faux et absurde : il n’y eut aucun article secret dans le traité de Rastadt : c’était un traité de paix authentique. On n’insère des articles secrets qu’entre des confédérés qui veulent cacher leurs conventions au public. Exclure le duc d’Orléans en cas de malheur, c’eût été donner la France à Philippe V, roi d’Espagne, compétiteur de l’empereur Charles VI, avec lequel on traitait ; c’eût été détruire l’édifice de la paix d’Utrecht auquel on donnait la dernière main, outrager l’empereur, renverser l’équilibre de l’Europe. On n’a jamais rien écrit de plus absurde. (Note de Voltaire.)