Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome15.djvu/177

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guerre avec l’Espagne. La Bretagne était prête à se soulever. Il s’était formé des conspirations contre le régent, et cependant il vint à bout presque sans peine de tout ce qu’il voulut au dehors et au dedans. Le royaume était dans une confusion qui fai-

    et Lass les multipliait à l’excès, en y attachant toujours de nouveaux profits en espérance.

    Ces charlataneries ne pouvaient soutenir le crédit que pendant très-peu de temps ; les billets tombèrent. Il prit alors un second moyen ; on contraignit à recevoir les billets de banque comme argent comptant. Ceux qui remboursèrent leurs dettes avec ces billets eurent le profit des banqueroutes, dont ils partageaient l’honneur avec le ministère. Mais cette contrainte ne peut exister dans les opérations de commerce ; le marchand qui vend sa denrée argent comptant est le maître de la donner à meilleur marché que s’il la vend en billets : ainsi ce moyen, injuste en lui-même, ne put ni soutenir suffisamment les billets, ni avoir longtemps de l’influence.

    Lass jusque-là était un homme persuadé faussement que l’établissement d’une banque augmentait les richesses réelles, et que, dans le cas où il la fondait, elle devait anéantir la dette publique. Peu délicat sur les moyens, il avait été injuste et charlatan ; mais il pouvait paraître habile aux yeux de ceux qui n’étaient point assez éclairés pour sentir qu’il ne pouvait résulter de son système, en lui supposant tout le succès possible, que l’existence d’une compagnie maîtresse des impôts et des privilèges de commerce, une banque très-compliquée, enfin une banqueroute faite au hasard, et sans que les pertes fussent proportionnelles, ce qui la rendait encore plus injuste et plus funeste.

    Mais à cette dernière époque toute cette habileté apparente disparut ; il imagina d’abord de dégoûter de l’argent comptant par des variations rapides dans les monnaies ; l’argent monnayé devenant, par ce moyen, d’un usage incommode, et ceux qui avaient des monnaies anciennes ne pouvant ni les employer dans le commerce, ni les vendre avec avantage comme matière, la valeur des billets devait augmenter ; mais cette hausse était plus que compensée par la diminution de la confiance. Il finit par défendre de garder de l’argent chez soi ; l’effet de cette dernière loi fut encore de rendre l’argent plus rare, mais aussi de faire tomber les billets de plus en plus. Au milieu de toutes ces lois, le public de Paris, occupé, non plus des fortunes qu’on pouvait faire en actions ou en payant ses dettes en billets, mais de celles que l’agiotage de ces billets faisait espérer, ne voyait encore qu’à demi l’illusion des projets de Lass. Lui-même enfin réduisit ses billets à la moitié de leur valeur : alors le prestige qui l’avait soutenu fut absolument dissipé, et Lass fut obligé de quitter le ministère et la France.

    Telle est l’histoire abrégée de ce système, tel que nous avons pu le saisir au milieu de cette foule de lois et d’opérations qui se succédaient avec une rapidité dont il n’y a peut-être jamais eu d’exemple.

    L’ignorance où l’on était alors, principalement en France, sur la nature et les effets des opérations de ce genre, fut la seule cause du succès momentané du système de Lass, des révolutions prodigieuses qu’il causa dans les fortunes ; son effet dans l’administration fut une banqueroute partielle faite de la manière la plus injuste, la plus propre à multiplier les désastres particuliers ; et il n’en est resté dans les esprits que des préjugés contre les billets de banque, qui cependant peuvent souvent être utiles, soit pour diminuer le prix de l’argent, et en laisser une plus grande quantité pour le commerce étranger ou pour les différents usages qu’on peut faire de l’argent non monnayé, soit pour augmenter la production et le commerce, en rendant la circulation plus facile et moins coûteuse. (K.)