Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome15.djvu/275

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napolitains, fut cependant de plus de huit mille hommes tués ou blessés, et on leur fit quatre mille prisonniers. Enfin l’armée du roi de Sardaigne arriva, et alors le danger redoubla : toute l’armée des trois couronnes de France, d’Espagne, et de Naples, courait risque d’être prisonnière.

(12 juillet 1746) Dans ces tristes conjonctures, l’infant don Philippe reçut une nouvelle qui devait, selon toutes les apparences, mettre le comble à tant d’infortunes : c’était la mort de Philippe V, roi d’Espagne, son père. Ce monarque, après avoir autrefois essuyé beaucoup de revers, et s’être vu deux fois obligé d’abandonner sa capitale, avait régné paisiblement en Espagne ; et s’il n’avait pu rendre à cette monarchie la splendeur où elle fut sous Philippe II, il l’avait mise du moins dans un état plus florissant qu’elle n’avait été sous Philippe IV et sous Charles II. Il n’y avait que la dure nécessité de voir toujours Gibraltar, Minorque, et le commerce de l’Amérique espagnole, entre les mains des Anglais, qui eût continuellement traversé le bonheur de son administration. La conquête d’Oran sur les Maures, en 1732, la couronne de Naples et Sicile enlevée aux Autrichiens, et affermie sur la tête de son fils don Carlos, avaient signalé son règne, et il se flattait avec apparence, quelque temps avant sa mort, de voir le Milanais, Parme et Plaisance, soumis à l’infant don Philippe, son autre fils de son second mariage avec la princesse de Parme.

Précipité comme les autres princes dans ces grands mouvements qui agitent presque toute l’Europe, il avait senti, plus que personne, le néant de la grandeur, et la douloureuse nécessité de sacrifier tant de milliers d’hommes à des intérêts qui changent tous les jours. Dégoûté du trône, il l’avait abdiqué pour son premier fils don Louis, et l’avait repris après la mort de ce prince ; toujours prêt à le quitter, et n’ayant éprouvé, par sa complexion mélancolique, que l’amertume attachée à la condition humaine, même dans la puissance absolue.

La nouvelle de sa mort, arrivée à l’armée après sa défaite, augmenta l’embarras où l’on était. On ne savait pas encore si Ferdinand VI, successeur de Philippe V, ferait pour un frère d’un second mariage ce que Philippe V avait fait pour un fils. Ce qui restait de cette florissante armée des trois couronnes courait risque, plus que jamais, d’être enfermé sans ressource : elle était entre le Pô, le Lambro, le Lidone, et la Trébie. Se battre en rase campagne, ou dans un poste, contre une armée supérieure, est très-ordinaire ; sauver des troupes vaincues et enfermées est très-rare : c’est l’effort de l’art militaire.