Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome15.djvu/329

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quatre blessés. Il lui restait encore plus de monde qu’au Commodore ; cependant il se rendit. Le vainqueur retourna à Canton avec cette riche prise. Il y soutint l’honneur de sa nation en refusant de payer à l’empereur de la Chine les impôts que doivent tous les navires étrangers. Il prétendait qu’un vaisseau de guerre n’en devait pas : sa conduite en imposa. Le gouverneur de Canton lui donna une audience, à laquelle il fut conduit à travers deux haies de soldats, au nombre de dix mille ; après quoi il retourna dans sa patrie par les îles de la Sonde et par le cap de Bonne-Espérance. Ayant ainsi fait le tour du monde en victorieux, il aborda en Angleterre le 14 juin 1744, après un voyage de trois ans et demi.

Il fit porter à Londres en triomphe, sur trente-deux chariots, au son des tambours et des trompettes, et aux acclamations de la multitude, les richesses qu’il avait conquises. Ses prises se montaient, en argent et en or, à dix millions, monnaie de France, qui furent le prix du commodore, de ses officiers, des matelots et des soldats, sans que le roi entrât en partage du fruit de leurs fatigues et de leur valeur. Ces richesses, circulant bientôt dans la nation, contribuèrent à lui faire supporter les frais immenses de la guerre.

De simples corsaires firent des prises encore plus considérables. Le capitaine Talbot prit avec son seul vaisseau deux navires français, qu’il crut d’abord venir de la Martinique, et ne porter que des marchandises communes ; mais ces deux bâtiments malouins avaient été frétés par les Espagnols avant que la guerre eût été déclarée entre la France et l’Angleterre ; ils croyaient revenir en sûreté. Un Espagnol qui avait été gouverneur du Pérou était sur l’un de ces vaisseaux ; et tous les deux rapportaient des trésors en or, en argent, en diamants, et en marchandises précieuses. Cette prise était estimée vingt-six millions de livres. L’équipage du corsaire fut si étonné de ce qu’il voyait qu’il ne daigna pas prendre les bijoux que chaque passager espagnol portait sur soi. Il n’y en avait presque aucun qui n’eût une épée d’or et un diamant au doigt ; on leur laissa tout, et quand Talbot eut amené ses prises au port de Kingsale, en Irlande, il fit présent de vingt guinées à chacun des matelots et des domestiques espagnols. Le butin fut partagé entre deux vaisseaux corsaires, dont l’un, qui était compagnon de Talbot, avait poursuivi en vain un autre vaisseau nommé l’Espérance, le plus riche des trois. Chaque matelot de ces deux corsaires eut huit cent cinquante guinées pour sa part ; les deux capitaines eurent