Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome15.djvu/332

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guerre un jeu de hasard, les Anglais, en une année, gagnèrent à ce jeu environ trois millions de livres sterling. Non-seulement les vainqueurs comptaient garder à jamais Louisbourg, mais ils firent des préparatifs pour s’emparer de toute la Nouvelle-France.

Il semble que les Anglais dussent faire de plus granddes entreprises maritimes. Ils avaient alors six vaisseaux de cent pièces de canon, treize de quatre-vingt-dix, quinze de quatre-vingts, vingt-six de soixante-dix, trente-trois de soixante. Il y en avait trente-sept de cinquante à cinquante-quatre canons ; et au-dessous de cette forme, depuis les frégates de quarante canons jusqu’aux moindres, on en comptait jusqu’à cent quinze. Ils avaient encore quatorze galiotes à bombes et dix brûlots. C’était en tout deux cent soixante-trois[1] vaisseaux de guerre, indépendamment des corsaires et des vaisseaux de transport. Cette marine avait le fonds de quarante mille matelots. Jamais aucune nation n’a eu de pareilles forces. Tous ces vaisseaux ne pouvaient être armés à la fois ; il s’en fallait beaucoup : le nombre des soldats était trop disproportionné ; mais enfin, en 1746 et 1747, les Anglais avaient à la fois une flotte dans les mers d’Écosse et d’Irlande, une à Spithead, une aux Indes orientales, une vers la Jamaïque, une à Antigoa, et ils en armaient de nouvelles selon le besoin.

Il fallut que la France résistât pendant toute la guerre, n’ayant en tout qu’environ trente-cinq vaisseaux de roi à opposer à cette puissance formidable. Il devenait plus difficile de jour en jour de soutenir les colonies. Si on ne leur envoyait pas de gros convois, elles demeuraient sans secours à la merci des flottes anglaises. Si les convois partaient ou de France ou des îles, ils couraient risque, étant escortés, d’être pris avec leurs escortes. En effet, les Français essuyèrent quelquefois des pertes terribles : car une flotte marchande de quarante voiles, venant en France de la Martinique sous l’escorte de quatre vaisseaux de guerre, fut rencontrée par une flotte anglaise (octobre 1745) ; il y en eut trente de pris, coulés à fond ou échoués ; deux vaisseaux de l’escorte, dont l’un était de quatre-vingts canons, tombèrent au pouvoir de l’ennemi.

En vain on tenta d’aller dans l’Amérique septentrionale pour essayer de reprendre le cap Breton, ou pour ruiner la colonie anglaise d’Annapolis dans la Nouvelle-Écosse. Le duc d’Enville, de la maison de La Rochefoucauld, y fut envoyé avec quatorze

  1. D’après le dénombrement que vient de faire Voltaire, il devait dire deux cent soixante-neuf.