Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome15.djvu/427

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teur, qui faisait tant d’honneur à la France, ne put résister aux funestes influences de ce climat brûlant. Sa perte fut une calamité publique pour toutes nos colonies, qui s’empressèrent de lui élever des monuments, et qui ne prononcent son nom qu’avec attendrissement et avec admiration.

Les Anglais, dont il avait acquis l’estime, et qui l’avaient souvent pris pour arbitre entre nos colonies et les leurs, avaient consacré le nom du comte d’Ennery par le plus juste et le plus flatteur de tous les éloges : « Cet homme ne fera ni ne souffrira jamais d’injustice. »

La récompense que reçut le duc de Choiseul pour tant de choses si grandes et si utiles qu’il avait faites paraîtrait bien étrange si on ne connaissait les cours. Une femme[1] le fit exiler[2], lui et son cousin le duc de Praslin, après les services qu’ils avaient rendus à l’État, et après que le duc de Choiseul eut conclu le mariage du dauphin, petit-fils de Louis XV, depuis roi de France, avec la fille de l’impératrice Marie-Thérèse. C’était un grand exemple des vicissitudes de la fortune, que ce ministre eût réussi à ce mariage peu d’années après que le maréchal de Belle-Isle eut armé une grande partie de l’Europe pour détrôner cette même impératrice et qu’il n’eut réussi qu’à se faire prendre prisonnier. C’était une autre vicissitude, mais non pas surprenante, que le duc de Choiseul fût exilé.

Nous avons déjà vu[3] que Louis XV avait le malheur de trop regarder ses serviteurs comme des instruments qu’il pouvait briser à son gré. L’exil est une punition, et il n’y a que la loi qui doive punir. C’est surtout un très-grand malheur pour un souverain de punir des hommes dont les fautes ne sont pas connues, dont les services le sont, et qui ont pour eux la voix publique, que n’ont pas toujours leurs maîtres.

  1. Mme  du Barry.
  2. Le 24 décembre 1770.
  3. Page 381.