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LE PARLEMENT JUGE DU DAUPHIN.


avait mis les Parisiens dans son parti, vint hardiment se justifier, non pas devant le parlement, mais au palais du roi même, à l’hôtel de Saint-Paul, devant tous les princes du sang, les prélats, les grands officiers. Des députés du parlement, de la chambre des comptes, de l’université, de la ville de Paris, y siégèrent. Le duc de Bourgogne s’assit à son rang de premier pair. Il avait amené avec lui ce cordelier normand, nommé Jean Petit, docteur de l’université, qui justifia le meurtre du duc d’Orléans, et conclut que « le roi devait en récompenser le duc de Bourgogne, à l’exemple des rémunérations que Dieu donna à monseigneur saint Michel archange pour avoir tué le diable, et à Phinéès pour avoir tué Zambri ».

Le même Petit répéta cette harangue le lendemain dans le parvis de Notre-Dame, en présence de tout le peuple. Il fut extrêmement applaudi. Le roi, qui, dans son état funeste, n’était pas plus maître de la France que de lui-même, fut forcé de donner des lettres patentes par lesquelles il déclara « qu’il ôtait de son courage toute déplaisance de la mort de son frère, et que son cousin le duc de Bourgogne demeurerait en son singulier amour » : c’est ainsi que ces paroles, prononcées dans le jargon de ce temps-là, furent traduites ensuite.

La ville de Paris, depuis ce jour, resta en proie aux factions, aux conspirations, aux meurtres, et à l’impunité de tous les crimes.

En l’an 1419, les amis du jeune dauphin Charles, âgé alors de seize ans et demi, trahi par sa mère, abandonné par son père, et persécuté par ce même Jean sans Peur, duc de Bourgogne, vengèrent ce prince et la mort du duc d’Orléans, son oncle, sur le duc de Bourgogne son assassin. Ils l’attirèrent à une conférence sur le pont de Montereau, et le tuèrent aux yeux du dauphin même. Il n’a jamais été avéré que le dauphin eût été informé du complot, encore moins qu’il l’eût commandé. Le reste de sa vie prouve assez qu’il n’était pas sanguinaire. Il souffrit depuis qu’on assassinât ses favoris, mais il n’ordonna jamais de meurtre. On ne peut guère lui reprocher que de la faiblesse ; et si Tanneguy du Châtel et ses autres favoris avaient abusé de son jeune âge pour lui faire approuver cet assassinat, cet âge même pouvait servir à l’excuser d’avoir permis un crime. Il était certainement moins coupable que le duc de Bourgogne. On pouvait dire encore qu’il n’avait permis que la punition d’un traître qui venait de signer avec le roi d’Angleterre un traité secret par lequel il reconnaissait le droit de Henri V à la couronne, et jurait « de faire une