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HENRI IV ASSASSINÉ PAR JEAN CHÂTEL.


Il se mêla dans la foule des courtisans[1] dans le moment que le roi embrassait le sieur de Montigny : il portait le coup au cœur ; mais le roi, s’étant beaucoup baissé, le reçut dans les lèvres. La violence du coup était si forte qu’elle lui cassa une dent, et le roi fut sauvé pour cette fois[2].

On trouva dans la poche de Jean Châtel un écrit contenant sa confession. Il était bien horrible qu’une institution aussi ancienne, établie pour expier ou pour prévenir les crimes, servît si souvent à les faire commettre. C’est un malheur attaché à la confession auriculaire.

Le grand-prévôt se saisit d’abord de ce misérable ; mais Auguste de Thou, l’historien, obtint que le parlement fût son juge. Le coupable ayant avoué dans son interrogatoire qu’il avait étudié chez les jésuites, qu’il se confessait à eux, qu’il était de leur congrégation, le parlement fit saisir et examiner leurs papiers. On trouva dans ceux du jésuite Jean Guignard ces paroles : « On a fait une grande faute à la Saint-Barthélemy de ne point saigner la veine basilique ; » basilique veut dire royale, et cela signifiait qu’on aurait dû exterminer Henri et le prince de Condé. Ensuite ou trouvait ces mots : « Faut-il donner le nom de roi de France à un Sardanapale, à un Néron, à un renard de Béarn ? L’acte de Jacques Clément est héroïque. Si on peut faire la guerre au Béarnais, il faut le guerroyer ; sinon, qu’on l’assassine. »

Châtel fut écartelé, le jésuite Guignard fut pendu ; et ce qui est bien étrange, Jouvency, dans son Histoire des Jésuites, le regarde comme un martyr et le compare à Jésus-Christ. Le régent de Châtel, nommé Guéret, et un autre jésuite, nommé Hay, ne furent condamnés qu’à un bannissement perpétuel.

Les jésuites avaient dans ce temps-là même un grand procès au parlement contre la Sorbonne, qui avait conclu à les chasser du royaume[3]. Le parlement les chassa en effet par un arrêt

  1. 1594, 27 décembre, à six heures du soir. (Note de Voltaire.)
  2. D’Aubigné, protestant fanatique, écrivit à Henri IV : « Vous avez renié Dieu de bouche, et il a frappé votre bouche ; prenez garde à le jamais renier de cœur. » (K. )
  3. Il faut lire avec beaucoup de défiance tout ce qui regarde les jésuites, dans les remarques de l’abbé de L’Écluse sur les Mémoires de Sully. Non-seulement L’Écluse a falsifié les Mémoires de Sully en plusieurs endroits ; mais comme il imprimait en 1740, et que les jésuites étaient alors fort puissants, il les flattait lâchement. Il cite toujours mal à propos, en fait de finances, le Testament attribué au cardinal de Richelieu, ouvrage d’un faussaire ignorant qui ne savait pas même l’arithmétique. (Note de Voltaire.) — Cette dernière petite phrase est une de celles qui, selon Diderot, démasquaient Voltaire déguisé en abbé Big.... (G. A.) — La