Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome15.djvu/84

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d’un grand roi ; soit asservissement au parti contraire, ce qui semble encore plus au-dessous de la dignité du trône. Quoi qu’il en soit, il écrivit au cardinal de Bouillon, le 16 mars 1699, une lettre de reproches très-mortifiante. Il déclare dans cette lettre qu’il veut la condamnation de l’archevêque de Cambrai : elle est d’un homme piqué. Le Télémaque faisait alors un grand bruit dans toute l’Europe, et les Maximes des Saints, que le roi n’avait point lues, étaient punies des maximes répandues dans le Télémaque, qu’il avait lues.

On rappela aussitôt le cardinal de Bouillon. Il partit : mais, ayant appris à quelques milles de Rome que le cardinal doyen était mort, il fut obligé de revenir sur ses pas pour prendre possession de cette dignité qui lui appartenait de droit, étant, quoique jeune encore, le plus ancien des cardinaux.

La place de doyen du sacré collège donne à Rome de très-grandes prérogatives ; et, selon la manière de penser de ce temps-là, c’était une chose agréable pour la France qu’elle fût occupée par un Français.

Ce n’était point d’ailleurs manquer au roi que de se mettre en possession de son bien, et de partir ensuite. Cependant cette démarche aigrit le roi sans retour. Le cardinal en arrivant en France fut exilé, et cet exil dura dix années entières.

Enfin, lassé d’une si longue disgrâce, il prit le parti de sortir de France pour jamais, en 1710, dans le temps que Louis XIV semblait accablé par les alliés, et que le royaume était menacé de tous côtés[1].

Le prince Eugène et le prince d’Auvergne, ses parents, le reçurent sur les frontières de Flandre, où ils étaient victorieux. Il envoya au roi la croix de l’ordre du Saint-Esprit, et la démission de sa charge de grand aumônier de France, en lui écrivant ces propres paroles : « Je reprends la liberté que me donnaient ma naissance de prince étranger, fils d’un souverain, ne dépendant que de Dieu, et ma dignité de cardinal de la sainte l’Église romaine et de doyen du sacré collège… Je tâcherai de travailler le reste de mes jours à servir Dieu et l’Église dans la première place après la suprême[2], etc. »

Sa prétention de prince indépendant lui paraissait fondée,

  1. Quoi que dise Voltaire, il paraît qu’à Rome le cardinal de Bouillon ne suivait pas ses instructions, et que, de retour, il entretint des intelligences avec les ennemis du royaume. (G. A.)
  2. Voyez tome XI, page 391.