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MEURTRE DE HENRI IV.


testantes étaient contenues par la sagesse de ce roi, qui serait regardé comme un grand politique si sa valeur et sa bonté n’avaient pas éclipsé ses autres mérites. Le peuple respirait, les grands étaient moins tyrans, l’agriculture était partout encouragée, le commerce commençait à fleurir, les lois reprenaient leur autorité. Les dix dernières années de la vie de ce prince ont été peut-être les plus heureuses de la monarchie. Il allait changer la face de l’Europe, comme il avait changé celle de la France. Prêt à partir pour secourir ses alliés, et pour faire le destin de l’Allemagne, à la tête de la plus florissante armée qu’on eût encore vue, il fut assassiné, comme on ne le sait que trop, par un de ces misérables de la lie du peuple, à qui le fanatisme de la canaille des ligueurs et des moines inspira seul cette frénésie.

Tout ce que l’insatiable curiosité des hommes a pu rechercher sur le crime de Ravaillac, tout ce que la malignité a inventé, doit être mis au rang des fables. Il est constant que Ravaillac n’eut d’autre complice que la rage de la superstition. On a remarqué que le premier assassin enthousiaste qui tua François de Guise par dévotion, et Ravaillac qui tua Henri IV par le même principe, étaient tous deux d’Angoulême[1].

Il avait entendu dire que le roi allait faire la guerre aux catholiques en faveur des huguenots ; il croyait même, d’après les bruits populaires, qu’il allait attaquer le pape : ce fut assez pour déterminer ce malheureux ; il en fit l’aveu dans ses interrogatoires, il persista jusqu’au milieu de son supplice.

Son second interrogatoire porte expressément « qu’il a cru que, faisant la guerre contre le pape, c’était la faire à Dieu, d’autant que le pape est Dieu, et Dieu est le pape ». Ces paroles doivent être éternellement présentes à tous les esprits ; elles doivent apprendre de quelle importance il est d’empêcher que la religion, qui doit rendre les hommes sages et justes, n’en fasse des monstres insensés et furieux[2].

  1. C’est-à-dire de l’Angoumois ; voyez tome XV, page 516.
  2. Dans un ouvrage publié par un moine en 1780, on lit que Ravaillac était un fanatique d’État ; et on ajoute que ces fanatiques d’État sont très-dangereux, et beaucoup plus communs qu’on ne pense.

    Il est clair que Ravaillac n’était et ne pouvait être qu’un fanatique de religion : ce n’était point du tout un Timoléon, un Brutus, un Sidney, un Padilla, un Nassau, un Tell, un chef d’insurgents, mais un fou, à qui les moines avaient tourné la tête. Quand Brutus soufflait le feu, il ne voyait pas de petits Jupiters sortir de son soufflet, comme Ravaillac voyait de petites hosties sortir du sien. M. le prieur de Château-Renard ne persuadera à personne que Henri IV ait été assassiné par l’effet du zèle patriotique, ni que ce zèle soit très-commun, et encore moins qu’il soit