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LIVRE DEUXIÈME.


et de plusieurs gentilshommes ; les sénateurs sont les palatins et les évêques ; le second ordre est composé des députés des diètes particulières de chaque palatinat. À ces grandes assemblées préside l’archevêque de Gnesne, primat de Pologne, vicaire du royaume dans les interrègnes, et la première personne de l’État après le roi. Rarement y a-t-il en Pologne un autre cardinal que lui, parce que la pourpre romaine ne donnant aucune préséance dans le sénat, un évêque qui serait cardinal serait obligé ou de s’asseoir à son rang de sénateur, ou de renoncer aux droits solides de la dignité qu’il a dans sa patrie pour soutenir les prétentions d’un honneur étranger.

Ces diètes se doivent tenir, par les lois du royaume, alternativement en Pologne et en Lithuanie. Les députés y décident souvent leurs affaires le sabre à la main, comme les anciens Sarmates, dont ils sont descendus[1], et quelquefois même au milieu de l’ivresse, vice que les Sarmates ignoraient. Chaque gentilhomme député à ces états généraux jouit du droit qu’avaient à Rome les tribuns du peuple de s’opposer aux lois du sénat. Un seul gentilhomme qui dit je proteste[2] arrête, par ce mot seul, les résolutions unanimes de tout le reste ; et s’il part de l’endroit où se tient la diète, il faut alors qu’elle se sépare.

On apporte aux désordres qui naissent de cette loi un remède plus dangereux encore. La Pologne est rarement sans deux factions. L’unanimité dans les diètes étant alors impossible, chaque parti forme des confédérations dans lesquelles on décide à la pluralité des voix, sans avoir égard aux protestations du plus petit nombre. Ces assemblées, illégitimes selon les lois, mais autorisées par l’usage, se font au nom du roi, quoique souvent contre son consentement et contre ses intérêts ; à peu près comme la Ligue se servait en France du nom de Henri III pour l’accabler ; et comme en Angleterre le parlement, qui fit mourir Charles Ier sur un échafaud, commença par mettre le nom de ce prince à la tête de toutes les résolutions qu’il prenait pour le perdre. Lorsque les troubles sont finis, alors c’est aux diètes générales à confirmer ou à casser les actes de ces confédérations. Une diète même peut changer tout ce qu’a fait la précédente, par la même raison que dans les États monarchiques un roi peut abolir les lois de son prédécesseur et les siennes propres.

La noblesse, qui fait les lois de la république, en fait aussi la

  1. Les Polonais, d’après Malte-Brun, sont d’origine slave, et non sarmate.
  2. C’est le fameux veto.