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HISTOIRE DE CHARLES XII.


force. Elle monte à cheval dans les grandes occasions, et peut composer un corps de plus de cent mille hommes. Cette grande armée, nommée pospolite[1], se meut difficilement, et se gouverne mal : la difficulté des vivres et des fourrages la met dans l’impuissance de subsister longtemps assemblée. La discipline, la subordination, l’expérience, lui manquent ; mais l’amour de la liberté, qui l’anime, la rend toujours formidable.

On peut la vaincre ou la dissiper, ou la tenir même pour un temps dans l’esclavage ; mais elle secoue bientôt le joug : ils se comparent eux-mêmes aux roseaux que la tempête couche par terre, et qui se relèvent dès que le vent ne souffle plus. C’est pour cette raison qu’ils n’ont point de places de guerre : ils veulent être les seuls remparts de leur république ; ils ne souffrent jamais que leur roi bâtisse des forteresses, de peur qu’il ne s’en serve, moins pour les défendre que pour les opprimer. Leur pays est tout ouvert, à la réserve de deux ou trois places frontières. Que si dans leurs guerres, ou civiles ou étrangères, ils s’obstinent à soutenir chez eux quelque siége, il faut faire à la hâte des fortifications de terre, réparer de vieilles murailles à demi ruinées, élargir des fossés presque comblés, et la ville est prise avant que les retranchements soient achevés.

La pospolite n’est pas toujours à cheval pour garder le pays ; elle n’y monte que par l’ordre des diètes, ou même quelquefois sur le simple ordre du roi, dans les dangers extrêmes.

La garde ordinaire de la Pologne est une armée qui doit toujours subsister aux dépens de la république. Elle est composée de deux corps sous deux grands-généraux différents. Le premier corps est celui de la Pologne, et doit être de trente-six mille hommes ; le second, au nombre de douze mille, est celui de Lithuanie. Les deux grands-généraux sont indépendants l’un de l’autre : quoique nommés par le roi, ils ne rendent jamais compte de leurs opérations qu’à la république, et ont une autorité suprême sur leurs troupes. Les colonels sont les maîtres absolus de leurs régiments ; c’est à eux à les faire subsister comme ils peuvent, et à leur payer leur solde. Mais étant rarement payés eux-mêmes, ils désolent le pays, et ruinent les laboureurs pour satisfaire leur avidité et celle de leurs soldats[2]. Les seigneurs polonais paraissent

  1. C’est l’armée de Pologne, composée de la noblesse du pays. Voilà la seule définition que donnent les dictionnaires, d’après Voltaire lui-même, qui l’a prise dans Dalerac. (Anecdotes de Pologne.) — Pospolicie, en polonais, veut dire commun, général ; c’est la levée générale, l’arrière-ban. (A. G.)
  2. Morceau copié par le P. Barre. (Note de Voltaire.)