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LIVRE DEUXIÈME.


dans ces armées avec plus de magnificence que dans les villes ; leurs tentes sont plus belles que leurs maisons. La cavalerie, qui fait les deux tiers de l’armée, est presque toute composée de gentilshommes : elle est remarquable par la beauté des chevaux, et par la richesse des habillements et des harnais.

Les gendarmes surtout, que l’on distingue en houssards et pancernes[1], ne marchent qu’accompagnés de plusieurs valets, qui leur tiennent des chevaux de main, ornés de brides à plaques et clous d’argent, de selles brodées, d’arçons, d’étriers dorés, et quelquefois d’argent massif, avec de grandes housses traînantes, à la manière des Turcs, dont les Polonais imitent autant qu’ils peuvent la magnificence.

Autant cette cavalerie est parée et superbe, autant l’infanterie était alors délabrée, mal vêtue, mal armée, sans habits d’ordonnance ni rien d’uniforme. C’est ainsi du moins qu’elle fut jusque vers 1710. Ces fantassins, qui ressemblent à des Tartares vagabonds, supportent avec une étonnante fermeté la faim, le froid, la fatigue, et tout le poids de la guerre.

On voit encore dans les soldats polonais le caractère des anciens Sarmates, leurs ancêtres : aussi peu de discipline, la même fureur à attaquer, la même promptitude à fuir et à revenir au combat, le même acharnement dans le carnage quand ils sont vainqueurs.

Le roi de Pologne s’était flatté d’abord que dans le besoin ces deux armées combattraient en sa faveur, que la pospolite polonaise s’armerait à ses ordres, et que toutes ces forces, jointes aux Saxons ses sujets, et aux Moscovites ses alliés, composeraient une multitude devant qui le petit nombre des Suédois n’oserait paraître. Il se vit presque tout à coup privé de ces secours par les soins mêmes qu’il avait pris pour les avoir tous à la fois.

Accoutumé dans ses pays héréditaires au pouvoir absolu, il crut trop peut-être qu’il pourrait gouverner la Pologne comme la Saxe. Le commencement de son règne fit des mécontents ; ses premières démarches irritèrent le parti qui s’était opposé à son élection, et aliénèrent presque tout le reste. La Pologne murmura devoir ses villes remplies de garnisons saxonnes, et ses frontières de troupes. Cette nation, bien plus jalouse de maintenir sa liberté qu’empressée à attaquer ses voisins, ne regarda point la guerre du roi Auguste contre la Suède, et l’irruption en Livonie, comme une entreprise avantageuse à la république. On trompe difficile-

  1. Morceau copié par le P. Barre. On n’en citera pas davantage ; c’est trop d’ennui pour l’éditeur. (Note de Voltaire.)