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LIVRE TROISIÈME.


l’on ne connaissait de liaisons que celles de l’intérêt et de la faction. Ce caractère, qui avait en quelques choses du rapport avec le sien, le détermina entièrement. Il dit tout haut après la conférence : « Voilà un homme qui sera toujours mon ami » ; et on s’aperçut bientôt que ces mots signifiaient : « Voilà un homme qui sera roi. »

Quand le primat de Pologne sut que Charles XII avait nommé le palatin Leczinski, à peu près comme Alexandre avait nommé Abdolonyme, il accourut auprès du roi de Suède pour tâcher de faire changer cette résolution ; il voulait faire tomber la couronne à un Lubomirski : « Mais qu’avez-vous à alléguer contre Stanislas Leczinski ? dit le conquérant, — Sire, dit le primat, il est trop jeune. » Le roi répliqua sèchement : « Il est à peu près de mon âge », tourna le dos au prélat, et aussitôt envoya le comte de Horn signifier à l’assemblée de Varsovie qu’il fallait élire un roi dans cinq jours, et qu’il fallait élire Stanislas Leczinski. Le comte de Horn arriva le 7 juillet ; il fixa le jour de l’élection au 12, comme il aurait ordonné le décampement d’un bataillon. Le cardinal primat, frustré du fruit de tant d’intrigues, retourna à l’assemblée, où il remua tout pour faire échouer une élection à laquelle il n’avait point de part. Mais le roi de Suède arriva lui-même incognito à Varsovie ; alors il fallut se taire. Tout ce que put faire le primat fut de ne point se trouver à l’élection ; il se réduisit à une neutralité inutile, ne pouvant s’opposer au vainqueur, et ne voulant pas le seconder[1].

Le samedi 12 juillet 1704, jour fixé pour l’élection, étant venu, on s’assembla à trois heures après midi au Colo, champ destiné pour cette cérémonie : l’évêque de Posnanie vint présider à l’assemblée à la place du cardinal primat. Il arriva suivi des gentilshommes du parti. Le comte de Horn et deux autres officiers généraux assistaient publiquement à cette solennité, comme ambassadeurs extraordinaires de Charles auprès de la république. La séance dura jusqu’à neuf heures du soir : l’évêque de Posnanie la finit en déclarant, au nom de la diète, Stanislas élu roi de Pologne[2]. Tous les bonnets sautèrent en l’air, et le bruit des acclamations étouffa les cris des opposants.

Il ne servit de rien au cardinal primat et à ceux qui avaient voulu demeurer neutres de s’être absentés de l’élection, il fallut que dès le lendemain ils vinssent tous rendre hommage au nou-

  1. Variante : « Se ménageant encore entre Auguste et Stanislas, et attendant l’occasion de nuire à tous deux. »
  2. Variante : « Charles XII, mêlé dans la foule, fut le premier à crier : Vivat ! »