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LIVRE SEPTIÈME.


C’était à qui s’enrichirait de ses pertes. Frédéric-Guillaume, depuis peu roi de Prusse, qui paraissait avoir autant d’inclination à la guerre que son père avait été pacifique, commença par se faire livrer Stetin et une partie de la Poméranie, sur laquelle il avait des droits pour quatre cent mille écus payés au roi de Danemark et au czar.

George, électeur de Hanovre, devenu roi d’Angleterre, avait aussi séquestré entre ses mains le duché de Brême et de Verden, que le roi de Danemark lui avait mis en dépôt pour soixante mille pistoles. Ainsi on disposait des dépouilles de Charles XII, et ceux qui les avaient en garde devenaient, par leurs intérêts, des ennemis aussi dangereux que ceux qui les avaient prises.

Quant au czar, il était sans doute le plus à craindre : ses anciennes défaites, ses victoires, ses fautes même, sa persévérance à s’instruire et à montrer à ses sujets ce qu’il avait appris, ses travaux continuels, en avaient fait un grand homme en tout genre. Déjà Riga était pris ; la Livonie, l’Ingrie, la Carélie, la moitié de la Finlande, tant de provinces qu’avaient conquises les rois ancêtres de Charles, étaient sous le joug moscovite.

Pierre Alexiowitz, qui vingt ans auparavant n’avait pas une barque dans la mer Baltique, se voyait alors maître de cette mer, à la tête d’une flotte de trente grands vaisseaux de ligne.

Un de ces vaisseaux avait été construit de ses propres mains ; il était le meilleur charpentier, le meilleur amiral, le meilleur pilote du Nord. Il n’y avait point de passage difficile qu’il n’eût sondé lui-même depuis le fond du golfe de Bothnie jusqu’à l’Océan, ayant joint le travail d’un matelot aux expériences d’un philosophe et aux desseins d’un empereur, et étant devenu amiral par degrés et à force de victoires, comme il avait voulu parvenir au généralat sur terre.

Tandis que le prince Gallitzin, général formé par lui, et l’un de ceux qui secondèrent le mieux ses entreprises, achevait la conquête de la Finlande, prenait la ville de Vasa et battait les Suédois, cet empereur se mit en mer pour aller conquérir l’île d’Aland, située dans la mer Baltique, à douze lieues de Stockholm.

Il partit pour cette expédition au commencement de juillet 1714, pendant que son rival Charles XII se tenait dans son lit à Démotica. Il s’embarqua au port de Cronslot, qu’il avait bâti depuis quelques années à quatre milles de Pétersbourg. Ce nouveau port, la flotte qu’il contenait, les officiers et les matelots qui la montaient, tout cela était son ouvrage, et de quelque côté qu’il jetât les yeux il ne voyait rien qu’il n’eût créé en quelque sorte.