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PREMIÈRE PARTIE. — CHAPITRE I.


Nous appelions autrefois la Russie du nom de Moscovie, parce que la ville de Moscou, capitale de cet empire, était la résidence des grands-ducs de Russie ; aujourd’hui l’ancien nom de Russie a prévalu.

Je ne dois point rechercher ici pourquoi on a nommé les contrées depuis Smolensko jusqu’au delà de Moscou la Russie blanche, et pourquoi Hubner la nomme noire, ni pour quelle raison la Kiovie doit être la Russie rouge.

Il se peut encore que Madiès le Scythe, qui fit une irruption en Asie près de sept siècles avant notre ère, ait porté ses armes dans ces régions, comme ont fait depuis Gengis et Tamerlan, et comme probablement on avait fait longtemps avant Madiès. Toute antiquité ne mérite pas nos recherches ; celles des Chinois, des Indes, des Perses, des Égyptiens, sont constatées par des monuments illustres et intéressants. Ces monuments en supposent encore d’autres très-antérieurs, puisqu’il faut un grand nombre de siècles avant qu’on puisse seulement établir l’art de transmettre ses pensées par des signes durables, et qu’il faut encore une multitude de siècles précédents pour former un langage régulier. Mais nous n’avons point de tels monuments dans notre Europe aujourd’hui si policée ; l’art de l’écriture fut longtemps inconnu dans tout le Nord ; le patriarche Constantin, qui a écrit en russe l’histoire de Kiovie, avoue que dans ces pays on n’avait point l’usage de l’écriture au ve siècle.

Que d’autres examinent si des Huns, des Slaves et des Tatars ont conduit autrefois des familles errantes et affamées vers la source du Borysthène. Mon dessein est de faire voir ce que le czar Pierre a créé, plutôt que de débrouiller inutilement l’ancien chaos. Il faut toujours se souvenir qu’aucune famille sur la terre ne connaît son premier auteur, et que par conséquent aucun peuple ne peut savoir sa première origine.

Je me sers du nom de Russes pour désigner les habitants de ce grand empire. Celui de Roxelans[1], qu’on leur donnait autrefois, serait plus sonore ; mais il faut se conformer à l’usage de la langue dans laquelle on écrit. Les gazettes et d’autres mémoires depuis quelque temps emploient le mot de Russiens ; mais comme ce mot approche trop de Prussiens, je m’en tiens à celui de Russes, que presque tous nos auteurs leur ont donné ; et il m’a paru que le peuple le plus étendu de la terre doit être connu

  1. M. Daunou a lu à l’Institut un mémoire sur les Roxelans, qui n’est point encore imprimé (10 décembre 1829). (B.)