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PREMIÈRE PARTIE. — CHAPITRE IX.


cien pratique, jusqu’au milieu de janvier 1698, et alors il partit pour l’Angleterre, toujours à la suite de sa propre ambassade.

Le roi Guillaume lui envoya son yacht et deux vaisseaux de guerre. Sa manière de vivre fut la même que celle qu’il s’était prescrite dans Amsterdam et dans Sardam. Il se logea près du grand chantier à Deptford, et ne s’occupa guère qu’à s’instruire. Les constructeurs hollandais ne lui avaient enseigné que leur méthode et leur routine : il connut mieux l’art en Angleterre ; les vaisseaux s’y bâtissaient suivant des proportions mathématiques. Il se perfectionna dans cette science, et bientôt il en pouvait donner des leçons. Il travailla selon la méthode anglaise à la construction d’un vaisseau qui se trouva un des meilleurs voiliers de la mer. L’art de l’horlogerie, déjà perfectionné à Londres, attira son attention ; il en connut parfaitement toute la théorie. Le capitaine et ingénieur Perri, qui le suivit de Londres en Russie, dit que depuis la fonderie des canons jusqu’à la filerie des cordes, il n’y eut aucun métier qu’il n’observât et auquel il ne mît la main toutes les fois qu’il était dans les ateliers.

On trouva bon, pour cultiver son amitié, qu’il engageât des ouvriers comme il avait fait en Hollande : mais outre les artisans, il eut ce qu’il n’aurait pas trouvé si aisément à Amsterdam, des mathématiciens. Fergusson, Écossais, bon géomètre, se mit à son service ; c’est lui qui a établi l’arithmétique en Russie, dans les bureaux des finances, où l’on ne se servait auparavant que de la méthode tartare de compter avec des boules enfilées dans du fil d’archal ; méthode qui suppléait à l’écriture, mais embarrassante et fautive, parce qu’après le calcul on ne peut voir si on s’est trompé. Nous n’avons connu les chiffres indiens dont nous nous servons que par les Arabes, au ixe siècle ; l’empire de Russie ne les a reçus que mille ans après : c’est le sort de tous les arts ; ils ont fait lentement le tour du monde. Deux jeunes gens de l’école des mathématiques accompagnèrent Fergusson, et ce fut le commencement de l’école de marine que Pierre établit depuis. Il observait et calculait les éclipses avec Fergusson. L’ingénieur Perri, quoique très-mécontent de n’avoir pas été assez récompensé, avoue que Pierre s’était instruit dans l’astronomie : il connaissait bien les mouvements des corps célestes, et même les lois de la gravitation qui les dirige. Cette force si démontrée, et avant le grand Newton si inconnue, par laquelle toutes les planètes pèsent les unes sur les autres, et qui les retient dans leurs orbites, était déjà familière à un souverain de la Russie, tandis qu’ailleurs on se repaissait de tourbillons chimériques, et que dans