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CHAPITRE LIV.


Les enquêtes, ne pouvant obtenir la liberté de leurs membres emprisonnés, cessèrent pendant quatre mois entiers de rendre la justice. Ce fut là le premier exemple d’une pareille transgression. Quelques plaideurs en souffrirent, d’autres y gagnèrent en retenant plus longtemps le bien d’autrui. La cour ne s’en mit pas en peine ; elle crut que le parlement, indisposant à la fois les princes, les pairs et le peuple, n’aurait jamais aucun crédit : c’est en quoi elle se trompa. Elle ne prévoyait pas qu’à la première occasion tout se réunirait contre un ministre étranger qui commençait à déplaire autant qu’avait déplu le maréchal d’Ancre.

La régence d’Anne d’Autriche aurait été tranquille et absolue si on avait eu un Colbert ou un Sully pour gouverner les finances, comme on avait un Condé pour commander les armées ; encore même est-il douteux si des génies tels que ces deux hommes si supérieurs auraient suffi pour débrouiller alors le chaos de l’administration, pour surmonter les préjugés de la nation alors très-ignorante, pour établir des taxes universelles dans lesquelles il n’y eût rien d’arbitraire, pour faire des emprunts remboursables sur des fonds certains, pour encourager à la fois le commerce et l’agriculture, pour faire enfin ce qu’on fait en Angleterre.

Il y avait à la fois dans le ministère de l’ignorance, de la déprédation, et un empressement obstiné à se servir de moyens précipités pour arracher des peuples un peu d’argent, dont il revenait encore moins à l’État. La taxe sur les maisons bâties dans les faubourgs n’avait presque rien produit. On voulut forcer les citoyens d’acheter pour quinze cent mille livres de nouvelles rentes. Il fallait persuader, et non pas forcer. Le cri public, appuyé des refus du parlement, rendit inutiles ces édits odieux.

Le ministère imagina de nouveaux édits bursaux dont l’énoncé seul le couvrait de honte et de ridicule. C’était une création de conseillers du roi, contrôleurs de bois de chauffage, jurés crieurs de vin, jurés vendeurs de foin, agents de change, receveurs des finances quatriennaux, augmentation de gages moyennant finance dans tous les corps de la magistrature, enfin vente de la noblesse.

Il y eut dix-neuf édits de cette espèce. On mena au parlement Louis XIV en robe d’enfant pour faire enregistrer ces opprobres[1]. On le plaça sur un petit fauteuil qui servait de trône, ayant à sa droite la reine sa mère, le duc d’Orléans son oncle, le père du grand Condé, huit ducs ; et à sa gauche trois cardinaux, celui de

  1. 7 septembre 1645. (Note de Voltaire.)