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CONDAMNATION D’ALEXIS PÉTROVITZ.


On lui reproche ensuite d’être allé à Vienne se mettre sous la protection de l’empereur. Il dit qu’Alexis a calomnié son père, en faisant entendre à l’empereur Charles VI qu’il était persécuté, qu’on le forçait à renoncer à son héritage ; qu’enfin il a prié l’empereur de le protéger à main armée.

On ne voit pas d’abord comment l’empereur aurait pu faire la guerre au czar pour un tel sujet, et comment il eût pu interposer autre chose que des bons offices entre le père irrité et le fils désobéissant. Aussi Charles VI s’était contenté de donner une retraite au prince, et on l’avait renvoyé quand le czar, instruit de sa retraite, l’avait redemandé.

Pierre ajoute, dans cette pièce terrible, qu’Alexis avait persuadé à l’empereur qu’il n’était pas en sûreté de sa vie s’il revenait en Russie. C’était en quelque façon justifier les plaintes d’Alexis que de le faire condamner à mort après son retour, et surtout après avoir promis de lui pardonner ; mais nous verrons pour quelle cause le czar fit ensuite porter ce jugement mémorable. Enfin on voyait dans cette grande assemblée un souverain absolu plaider contre son fils.

« Voilà, dit-il, de quelle manière notre fils est revenu ; et quoiqu’il ait mérité la mort par son évasion et par ses calomnies, cependant notre tendresse paternelle lui pardonne ses crimes ; mais, considérant son indignité et sa conduite déréglée, nous ne pouvons en conscience lui laisser la succession au trône, prévoyant trop qu’après nous sa conduite dépravée détruirait la gloire de la nation, et ferait perdre tant d’États reconquis par nos armes. Nous plaindrions surtout nos sujets si nous les rejetions par un tel successeur dans un état beaucoup plus mauvais qu’ils n’ont été.

Ainsi, par le pouvoir paternel, en vertu duquel, selon les droits de notre empire, chacun même de nos sujets peut déshériter un fils comme il lui plaît, et en vertu de la qualité de prince souverain, et en considération du salut de nos États, nous privons notre dit fils Alexis de la succession après nous à notre trône de Russie, à cause de ses crimes et de son indignité, quand même il ne subsisterait pas une seule personne de notre famille après nous.

Et nous constituons et déclarons successeur audit trône après nous notre second fils Pierre[1], quoique encore jeune, n’ayant pas de successeur plus âgé.

  1. C’est ce même fils de l’impératrice Catherine, qui mourut en 1719, le 15 avril. (Note de Voltaire.)