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CONDAMNATION D’ALEXIS PÉTROVITZ.


même, avec l’ingénuité de la crainte, tout ce qui pouvait servir à le perdre, avoua enfin que, dans la confession, il s’était accusé devant Dieu à l’archiprêtre Jacques d’avoir souhaité la mort de son père, et que le confesseur Jacques lui avait répondu : « Dieu vous le pardonnera ; nous lui en souhaitons autant. »

Toutes les preuves qui peuvent se tirer de la confession sont inadmissibles par les canons de notre Église ; ce sont des secrets entre Dieu et le pénitent. L’Église grecque ne croit pas, non plus que la latine, que cette correspondance intime et sacrée entre un pécheur et la Divinité soit du ressort de la justice humaine ; mais il s’agissait de l’État et d’un souverain. Le prêtre Jaques fut appliqué à la question, et avoua ce que le prince avait révélé. C’était une chose rare dans ce procès de voir le confesseur accusé par son pénitent, et le pénitent par sa maîtresse. On peut encore ajouter à la singularité de cette aventure que, l’archevêque de Rézan ayant été impliqué dans les accusations, ayant autrefois, dans les premiers éclats des ressentiments du czar contre son fils, prononcé un sermon trop favorable au jeune czarovitz, ce prince avoua dans ses interrogatoires qu’il comptait sur ce prélat ; et ce même archevêque de Rézan fut à la tête des juges ecclésiastiques consultés par le czar sur ce procès criminel, comme nous l’allons voir bientôt.

Il y a une remarque essentielle à faire dans cet étrange procès, très-mal digéré dans la grossière Histoire de Pierre Premier, par le prétendu boïard Nestesuranoy ; et cette remarque, la voici :

Dans les réponses que fit Alexis au premier interrogatoire de son père, il avoue que quand il fut à Vienne, où il ne vit point l’empereur, il s’adressa au comte de Schonborn, chambellan ; que ce chambellan lui dit : « L’empereur ne vous abandonnera pas ; et, quand il en sera temps, après la mort de votre père, il vous aidera à monter sur le trône à main armée. Je lui répondis, ajoute l’accusé, je ne demande pas cela ; que l’empereur m’accorde sa protection, je n’en veux pas davantage. » Cette déposition est simple, naturelle, porte un grand caractère de vérité : car c’eût été le comble de la folie de demander des troupes à l’empereur pour aller tenter de détrôner son père ; et personne n’eût osé faire, ni au prince Eugène, ni au conseil, ni à l’empereur, une proposition si absurde. Cette déposition est du mois de février ; et quatre mois après, au 1er juillet, dans le cours et sur la fin de ces procédures, on fait dire au czarovitz dans ses dernières réponses par écrit :

« Ne voulant imiter mon père en rien, je cherchais à parvenir