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SECONDE PARTIE. — CHAPITRE XV.


potentiaires : « Vous avez dressé le traité comme si nous l’avions rédigé nous-mêmes, et si nous vous l’avions envoyé pour le faire signer aux Suédois ; ce glorieux événement sera toujours présent à notre mémoire. »

Des fêtes de toute espèce signalèrent la satisfaction des peuples dans tout l’empire, et surtout à Pétersbourg. Les pompes triomphales que le czar avait étalées pendant la guerre n’approchaient pas des réjouissances paisibles au-devant desquelles tous les citoyens allaient avec transport : cette paix était le plus beau de ses triomphes, et ce qui plut bien plus encore que toutes ces fêtes éclatantes, ce fut une rémission entière pour tous les coupables détenus dans les prisons, et l’abolition de tout ce qu’on devait d’impôts au trésor du czar dans toute l’étendue de l’empire jusqu’au jour de la publication de la paix. On brisa les chaînes d’une foule de malheureux ; les voleurs publics, les assassins, les criminels de lèse-majesté, furent seuls exceptés.

Ce fut alors que le sénat et le synode décernèrent à Pierre les titres de grand, d’empereur, et de père de la patrie. Le chancelier Golofkin porta la parole au nom de tous les ordres de l’État, dans l’église cathédrale ; les sénateurs crièrent ensuite trois fois : Vive notre empereur et notre père ! et ces acclamations furent suivies de celles du peuple. Les ministres de France, d’Allemagne, de Pologne, de Danemark, de Hollande, le félicitèrent le même jour, le nommèrent de ces titres qu’on venait de lui donner, et reconnurent empereur celui qu’on avait déjà désigné publiquement par ce titre, en Hollande, après la bataille de Pultava. Les noms de père et de grand étaient des noms glorieux que personne ne pouvait lui disputer en Europe ; celui d’empereur n’était qu’un titre honorifique décerné par l’usage à l’empereur d’Allemagne, comme roi titulaire des Romains : et ces appellations demandent du temps pour être formellement usitées dans les chancelleries des cours, où l’étiquette est différente de la gloire. Bientôt après, Pierre fut reconnu empereur par toute l’Europe, excepté par la Pologne, que la discorde divisait toujours, et par le pape, dont le suffrage est devenu fort inutile depuis que la cour romaine a perdu son crédit à mesure que les nations se sont éclairées.