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ÂME.

de maisons, qui, après avoir jeté les meubles par la fenêtre, voyant un homme qui en emportait quelques-uns, cria de toutes ses forces : Au voleur !

Il faut d’autant plus bénir la révélation de l’immortalité de l’âme, et des peines et des récompenses après la mort, que la vaine philosophie des hommes en a toujours douté. Le grand César n’en croyait rien ; il s’en expliqua clairement en plein sénat lorsque, pour empêcher qu’on fît mourir Catilina, il représenta que la mort ne laissait à l’homme aucun sentiment, que tout mourait avec lui ; et personne ne réfuta cette opinion.

L’empire romain était partagé entre deux grandes sectes principales : celle d’Épicure, qui affirmait que la Divinité était inutile au monde, et que l’âme périt avec le corps ; et celle des stoïciens, qui regardaient l’âme comme une portion de la Divinité, laquelle après la mort se réunissait à son origine, au grand tout dont elle était émanée. Ainsi, soit que l’on crût l’âme mortelle, soit qu’on la crût immortelle, toutes les sectes se réunissaient à se moquer des peines et des récompenses après la mort.

Il nous reste encore cent monuments de cette croyance des Romains, C’est en vertu de ce sentiment profondément gravé dans tous les cœurs que tant de héros et tant de simples citoyens romains se donnèrent la mort sans le moindre scrupule ; ils n’attendaient point qu’un tyran les livrât à des bourreaux.

Les hommes les plus vertueux même, et les plus persuadés de l’existence d’un Dieu, n’espéraient alors aucune récompense, et ne craignaient aucune peine. Nous verrons à l’article Apocryphe, que Clément, qui fut depuis pape et saint, commença par douter lui-même de ce que les premiers chrétiens disaient d’une autre vie, et qu’il consulta saint Pierre à Césarée. Nous sommes bien loin de croire que saint Clément ait écrit cette histoire qu’on lui attribue ; mais elle fait voir quel besoin avait le genre humain d’une révélation précise. Tout ce qui peut nous surprendre, c’est qu’un dogme si réprimant et si salutaire ait laissé en proie à tant d’horribles crimes des hommes qui ont si peu de temps à vivre, et qui se voient pressés entre deux éternités.