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ARGENT.

qu’Abraham, qui était étranger, et qui n’avait pas un pouce de terre dans le pays de Chanaan, y acheta un champ et une caverne pour enterrer sa femme, quatre cents sicles d’argent monnayé de bon aloi[1] : Quadringentos siclos argenti probatæ monetæ publicæ. Le judicieux dom Calmet évalue cette somme à quatre cent quarante-huit livres six sous neuf deniers, selon les anciens calculs imaginés assez au hasard, quand le marc d’argent était à vingt-six livres de compte le marc. Mais comme le marc d’argent est augmenté de moitié, la somme vaudrait huit cent quatre-vingt-seize livres.

Or, comme en ce temps-là il n’y avait point de monnaie marquée au coin qui répondît au mot pecunia, cela faisait une petite difficulté dont il est aisé de se tirer[2].

Une autre difficulté, c’est que dans un endroit il est dit qu’Abraham acheta ce champ en Hébron, et dans un autre en Sichem[3]. Consultez sur cela le vénérable Bède, Raban Maure, et Emmanuel Sa.

Nous pourrions parler ici des richesses que laissa David à Salomon en argent monnayé. Les uns les font monter à vingt et un, vingt-deux milliards tournois, les autres à vingt-cinq. Il n’y a point de garde du trésor royal, ni de tefterdar du Grand Turc, qui puisse supputer au juste le trésor du roi Salomon. Mais les jeunes bacheliers d’Oxford et de Sorbonne font ce compte tout courant.

Je ne parlerai point des innombrables aventures qui sont arrivées à l’argent depuis qu’il a été frappé, marqué, évalué, altéré, prodigué, resserré, volé, ayant dans toutes ses transmigrations demeuré constamment l’amour du genre humain. On l’aime au point que chez tous les princes chrétiens il y a encore une vieille loi qui subsiste, c’est de ne point laisser sortir d’or et d’argent de leurs royaumes. Cette loi suppose de deux choses l’une, ou que ces princes règnent sur des fous à lier qui se défont de leurs

  1. Genèse, chapitre xxiii, v. 16. (Note de Voltaire.)
  2. Ces hardis savants, qui, sur ce prétexte et sur plusieurs autres, attribuent le Pentateuque à d’autres qu’à Moïse, se fondent encore sur les témoignages de saint Théodoret, de Mazius, etc. Ils disent : Si saint Théodoret et Mazius affirment que le livre de Josué n’a pas été écrit par Josué, et n’en est pas moins admirable, ne pouvons-nous pas croire aussi que le Pentateuque est très-admirable sans être de Moïse ? Voyez sur cela le premier livre de l’Histoire critique du Vieux Testament, par le révérend P. Simon de l’Oratoire. Mais quoi qu’en aient dit tant de savants, il est clair qu’il faut s’en tenir au sentiment de la sainte Église apostolique et romaine, la seule infaillible. (Id.)
  3. Actes, chapitre vii, v. 10. (Id.)