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ATHÉE.

sur la terre former deux angles opposés au sommet dans l’œil d’un ciron, et peindre la nature sur sa rétine. Un philosophe a été donné au monde, qui a découvert par quelles simples et sublimes lois tous les globes célestes marchent dans l’abîme de l’espace. Ainsi l’ouvrage de l’univers mieux connu montre un ouvrier, et tant de lois toujours constantes ont prouvé un législateur. La saine philosophie a donc détruit l’athéisme, à qui l’obscure théologie prêtait des armes.

Il n’est resté qu’une seule ressource au petit nombre d’esprits difficiles qui, plus frappés des injustices prétendues[1] d’un Être suprême que de sa sagesse, se sont obstinés à nier ce premier moteur. Ils ont dit : La nature existe de toute éternité ; tout est en mouvement dans la nature : donc tout y change continuellement. Or, si tout change à jamais, il faut que toutes les combinaisons possibles arrivent : donc la combinaison présente de toutes les choses a pu être le seul effet de ce mouvement et de ce changement éternel. Prenez six dés ; il y a à la vérité 46655 à parier contre un que vous n’aménerez pas une chance de six fois six ; mais aussi en 46655 le pari est égal. Ainsi, dans l’infinité des siècles, une des combinaisons infinies, telle que l’arrangement présent de l’univers, n’est pas impossible.

On a vu des esprits, d’ailleurs raisonnables, séduits par cet argument ; mais ils ne considèrent pas qu’il y a l’infini contre eux, et qu’il n’y a certainement pas l’infini contre l’existence de Dieu. Ils doivent encore considérer que si tout change, les moindres espèces des choses ne devraient pas être immuables, comme elles le sont depuis si longtemps. Ils n’ont du moins aucune raison pour laquelle de nouvelles espèces ne se formeraient pas tous les jours. Il est au contraire très-probable qu’une main puissante, supérieure à ces changements continuels, arrête toutes les espèces dans les bornes qu’elle leur a prescrites. Ainsi le philosophe qui reconnaît un Dieu a pour lui une foule de probabilités qui équivalent à la certitude, et l’athée n’a que des doutes. On peut étendre beaucoup les preuves qui détruisent l’athéisme dans la philosophie.

Il est évident que, dans la morale, il vaut beaucoup mieux reconnaître un Dieu que n’en point admettre. C’est certainement l’intérêt de tous les hommes qu’il y ait une Divinité qui punisse ce que la justice humaine ne peut réprimer ; mais aussi il est clair qu’il vaudrait mieux ne pas reconnaître de Dieu que d’en

  1. Voyez Bien (Du bien et du mal physique et moral). (Note de Voltaire.)