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AUSTÉRITÉS.

Le premier fou qui se fouetta publiquement pour apaiser les dieux ne fut-il pas l’origine des prêtres de la déesse de Syrie, qui se fouettaient en son honneur ; des prêtres d’Isis, qui en faisaient autant à certains jours ; des prêtres de Dodone, nommés Saliens, qui se faisaient des blessures ; des prêtres de Bellone, qui se donnaient des coups de sabre ; des prêtres de Diane, qui s’ensanglantaient à coups de verges ; des prêtres de Cybèle, qui se faisaient eunuques ; des fakirs des Indes, qui se chargèrent de chaînes ? L’espérance de tirer de larges aumônes n’entra-t-elle pour rien dans leurs austérités ?

Les gueux qui se font enfler les jambes avec de la tithymale, et qui se couvrent d’ulcères pour arracher quelques deniers aux passants, n’ont-ils pas quelque rapport aux énergumènes de l’antiquité qui s’enfonçaient des clous dans les fesses, et qui vendaient ces saints clous aux dévots du pays ?

Enfin la vanité n’a-t-elle jamais eu part à ces mortifications publiques, qui attiraient les yeux de la multitude ? Je me fouette, mais c’est pour expier vos fautes ; je marche tout nu, mais c’est pour vous reprocher le faste de vos vêtements ; je me nourris d’herbes et de colimaçons, mais c’est pour corriger en vous le vice de la gourmandise ; je m’attache un anneau de fer à la verge, pour vous faire rougir de votre lasciveté. Respectez-moi comme un homme cher aux dieux, qui attirera leurs faveurs sur vous. Quand vous serez accoutumés à me respecter, vous n’aurez pas de peine à m’obéir : je serai votre maître au nom des dieux, et si quelqu’un de vous alors transgresse la moindre de mes volontés, je le ferai empaler pour apaiser la colère céleste.

Si les premiers fakirs ne prononcèrent pas ces paroles, il est bien probable qu’ils les avaient gravées dans le fond de leur cœur.

Ces austérités affreuses furent peut-être les origines des sacrifices de sang humain. Des gens qui répandaient leur sang en public à coups de verges, et qui se tailladaient les bras et les cuisses pour se donner de la considération, firent aisément croire à des sauvages imbéciles qu’on devait sacrifier aux dieux ce qu’on avait de plus cher ; qu’il fallait immoler sa fille pour avoir un bon vent ; précipiter son fils du haut d’un rocher, pour n’être point attaqué de la peste ; jeter une fille dans le Nil, pour avoir infailliblement une bonne récolte.

Ces superstitions asiatiques ont produit parmi nous les flagellations, que nous avons imitées des Juifs[1]. Leurs dévots se fouet-

  1. Voyez Confession. (Note de Voltaire.)