Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome17.djvu/533

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
513
BABEL.

son autorité, dit « qu’un roi les tyrannisera, qu’il prendra la dîme des vignes et des blés pour donner à ses eunuques ». Les rois accomplirent cette prédiction : car il est dit dans le troisième livre des Rois que le roi Achab avait des eunuques, et dans le quatrième, que Joram, Jéhu, Joachim et Sédékias, en avaient aussi.

Il est parlé longtemps auparavant dans la Genèse des eunuques du pharaon[1], et il est dit que Putiphar, à qui Joseph fut vendu, était eunuque du roi. Il est donc clair qu’on avait à Babylone foule d’eunuques pour garder les femmes. On ne leur faisait donc pas un devoir d’aller coucher avec le premier venu pour de l’argent. Babylone, la ville de Dieu, n’était donc pas un vaste b..... comme on l’a prétendu.

Ces contes d’Hérodote, ainsi que tous les autres contes dans ce goût, sont aujourd’hui si décriés par tous les honnêtes gens, la raison a fait de si grands progrès, que les vieilles et les enfants mêmes ne croient plus à ces sottises : « Non est vetula quæ credat[2] ; nec pueri credunt, nisi qui nondum ære lavantur[3]. »

Il ne s’est trouvé de nos jours qu’un seul homme[4] qui, n’étant pas de son siècle, a voulu justifier la fable d’Hérodote. Cette infamie lui paraît toute simple. Il veut prouver que les princesses babyloniennes se prostituaient par piété au premier venu, parce qu’il est dit, dans la sainte Écriture, que les Ammonites faisaient passer leurs enfants par le feu, en les présentant à Moloch ; mais cet usage de quelques hordes barbares, cette superstition de faire passer ses enfants par les flammes, ou même de les brûler sur des bûchers en l’honneur de je ne sais quel Moloch, ces horreurs iroquoises d’un petit peuple infâme, ont-elles quelque rapport avec une prostitution si incroyable chez la nation la plus jalouse et la plus policée de tout l’Orient connu ? Ce qui se passe chez les Iroquois sera-t-il parmi nous une preuve des usages de la cour d’Espagne ou de celle de France ?

Il apporte encore en preuve la fête des Lupercales chez les Romains, « pendant laquelle, dit-il, des jeunes gens de qualité et des magistrats respectables couraient nus par la ville, un fouet à la main, et frappaient de ce fouet des femmes de qualité qui se

  1. Genèse, chapitre xxxvii, v. 30. (Note de Voltaire.)
  2. Voyez le texte de Cicéron dans une note sur le chapitre viii du Traité de la Tolérance (Mélanges, année 1763).
  3. Juvénal, II, 152.
  4. Larcher. Voyez dans les Mélanges, année 1767, le chapitre ii de la Défense de mon oncle.