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BANQUE.

particulier vous donne pour recevoir votre argent au lieu indiqué. Le premier prend 1/2 pour 100, et son correspondant chez qui vous allez prend aussi 1/2 pour 100 quand il vous paye. Ce premier gain est convenu entre eux sans en avertir le porteur[1].

Le second gain, beaucoup plus considérable, se fait sur la valeur des espèces. Ce gain dépend de l’intelligence du banquier et de l’ignorance du remetteur d’argent. Les banquiers ont entre eux une langue particulière, comme les chimistes ; et le passant qui n’est pas initié à ces mystères en est toujours la dupe. Ils vous disent, par exemple : Nous remettons de Berlin à Amsterdam ; l’incertain pour le certain ; le change est haut ; il est à trente-quatre, trente-cinq ; et avec ce jargon, il se trouve qu’un homme qui croit les entendre perd six ou sept pour cent ; de sorte que s’il fait environ quinze voyages à Amsterdam, en remettant toujours son argent par lettres de change, il se trouvera que ses deux banquiers auront eu à la fin tout son bien. C’est ce qui produit d’ordinaire à tous les banquiers une grande fortune. Si on demande ce que c’est que l’incertain pour le certain, le voici :

Les écus d’Amsterdam ont un prix fixe en Hollande, et leur prix varie en Allemagne. Cent écus ou patagons de Hollande, argent de banque, sont cent écus de soixante sous chacun : il faut partir de là et voir ce que les Allemands leur donnent pour ces cent écus.

Vous donnez au banquier d’Allemagne, ou 130, ou 131, ou 132 rixdales, etc., et c’est là l’incertain : pourquoi 131 rixdales, ou 132 ? Parce que l’argent d’Allemagne passe pour être plus faible de titre que celui de Hollande.

Vous êtes censé recevoir poids pour poids et titre pour titre : il faut donc que vous donniez en Allemagne un plus grand nombre d’écus, puisque vous les donnez d’un titre inférieur.

Pourquoi tantôt 132, ou 133 écus, ou quelquefois 136 ? C’est que l’Allemagne a plus tiré de marchandises qu’à l’ordinaire de la Hollande : l’Allemagne est débitrice, et alors les banquiers d’Amsterdam exigent un plus grand profit ; ils abusent de la nécessité où l’on est, et, quand on tire sur eux, ils ne veulent donner leur argent qu’à un prix fort haut. Les banquiers d’Amsterdam disent aux banquiers de Francfort ou de Berlin : Vous nous

  1. Ce profit est souvent beaucoup moindre ; la manière dont on le fait consiste à donner à celui qui vous remet son argent comptant des lettres qui ne sont payables qu’après quelques semaines, en protestant qu’on ne peut lui en fournir à des échéances plus prochaines. (K.)