Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome17.djvu/558

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
538
BANQUEROUTE.

Il n’est pas vrai qu’on ait statué en France peine de mort contre les banqueroutiers sans distinction. Les simples faillites n’emportent aucune peine : les banqueroutiers frauduleux furent soumis à la peine de mort, aux états d’Orléans, sous Charles IX, et aux états de Blois, en 1576 ; mais ces édits, renouvelés par Henri IV, ne furent que comminatoires.

Il est trop difficile de prouver qu’un homme s’est déshonoré exprès, et a cédé volontairement tous ses biens à ses créanciers pour les tromper. Dans le doute, on s’est contenté de mettre le malheureux au pilori, ou de l’envoyer aux galères, quoique d’ordinaire un banquier soit un fort mauvais forçat.

Les banqueroutiers furent fort favorablement traités la dernière année du règne de Louis XIV, et pendant la régence. Le triste état où l’intérieur du royaume fut réduit, la multitude des marchands qui ne pouvaient ou qui ne voulaient pas payer, la quantité d’effets invendus ou invendables, la crainte de l’interruption de tout commerce, obligèrent le gouvernement, en 1715, 1716, 1718, 1721, 1722 et 1726, à faire suspendre toutes les procédures contre tous ceux qui étaient dans le cas de la faillite. Les discussions de ces procès furent renvoyées aux juges consuls ; c’est une juridiction de marchands très-experts dans ces cas, et plus faite pour entrer dans ces détails de commerce que des parlements qui ont toujours été plus occupés des lois du royaume que de la finance. Comme l’État faisait alors banqueroute, il eût été trop dur de punir les pauvres bourgeois banqueroutiers.

Nous avons eu depuis des hommes considérables banqueroutiers frauduleux, mais ils n’ont pas été punis.

Un homme de lettres de ma connaissance perdit quatre-vingt mille francs à la banqueroute d’un magistrat important, qui avait eu plusieurs millions nets en partage de la succession de monsieur son père, et qui, outre l’importance de sa charge et de sa personne, possédait encore une dignité assez importante à la cour[1].

  1. Samuel-Jacques Bernard, comte de Coubert, surintendant de la reine, fils du célèbre financier Samuel Bernard. Voyez dans la Correspondance la lettre à Diderot, décembre 1769. (B.)

    — Cette manière de se faire justice d’un malhonnête homme en le signalant, à l’occasion, dans un dictionnaire, semble empruntée par Voltaire à Pierre Richelet, qui marqua au front ses ennemis et tous les hommes dont il fut dupe, dans son dictionnaire français : « Escroquer, dit Richelet, c’est attraper d’une manière fine et peu honnête quelque chose à une personne qui, le plus souvent, est bonne et généreuse, et juge de l’honnêteté des autres par la sienne. Exemple : le fils de François Herrard de Vitry a escroqué dix louis d’or à M. Richelet, et ce faquin, au lieu de cacher la conduite de son fils en rendant ce qu’il avait lâchement escroqué, a l’insolence de l’approuver et de remercier par un sot billet M. Richelet de sa générosité. » (G. A.)