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ADAM.

aux brachmanes quinze cents ans après leur première loi appelée Shasta ou Shasta-bad. »

Telles sont à peu près les réponses que les brames d’aujourd’hui ont souvent faites aux aumôniers des vaisseaux marchands qui venaient leur parler d’Adam et d’Ève, d’Abel et de Caïn, tandis que les négociants de l’Europe venaient à main armée acheter des épiceries chez eux, et désoler leur pays.

Le Phénicien Sanchoniathon, qui vivait certainement avant le temps où nous plaçons Moïse[1], et qui est cité par Eusèbe comme un auteur authentique, donne dix générations à la race humaine, comme fait Moïse, jusqu’au temps de Noé ; et il ne parle dans ces dix générations ni d’Adam, ni d’Ève, ni d’aucun de leurs descendants, ni de Noé même.

Voici les noms des premiers hommes, suivant la traduction grecque faite par Philon de Biblos : Æon, Cenos, Phox, Liban, Usou, Halieus, Chrisor, Tecnites, Agrove, Amine. Ce sont là les dix premières générations.

Vous ne voyez le nom de Noé ni d’Adam dans aucune des antiques dynasties d’Égypte ; ils ne se trouvent point chez les Chaldéens : en un mot, la terre entière a gardé sur eux le silence.

Il faut avouer qu’une telle réticence est sans exemple. Tous les peuples se sont attribué des origines imaginaires, et aucun n’a touché à la véritable. On ne peut comprendre comment le père de toutes les nations a été ignoré si longtemps : son nom devait avoir volé de bouche en bouche d’un bout du monde à l’autre, selon le cours naturel des choses humaines.

Humilions-nous sous les décrets de la Providence, qui a permis cet oubli si étonnant. Tout a été mystérieux et caché dans la nation conduite par Dieu même, qui a préparé la voie au christianisme, et qui a été l’olivier sauvage sur lequel est enté l’olivier franc. Les noms des auteurs du genre humain, ignorés du genre humain, sont au rang des plus grands mystères[2].

  1. Ce qui fait penser à plusieurs savants que Sanchoniathon est antérieur au temps où l’on place Moïse, c’est qu’il n’en parle point. Il écrivait dans Bérithe. Cette ville était voisine du pays où les Juifs s’établiront. Si Sanchoniathon avait été postérieur ou contemporain, il n’aurait pas omis les prodiges épouvantables dont Moïse inonda l’Égypte ; il aurait sûrement fait mention du peuple juif, qui mettait sa patrie à feu et à sang. Eusèbe, Jules Africain, saint Éphrem, tous les pères grecs et syriaques, auraient cité un auteur profane qui rendait témoignage au législateur hébreu. Eusèbe surtout, qui reconnaît l’authenticité de Sanchoniathon, et qui en a traduit des fragments, aurait traduit tout ce qui eût regarde Moïse. (Note de Voltaire.)
  2. Fin de l’article en 1770. (B.)