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ADULTÈRE.

séduire l’épouse d’un autre, il craint même le commerce d’une fille, ou d’une veuve qui lui servirait de concubine. Dans cet état inquiétant et douloureux, voici le précis des plaintes qu’il adresse à son Église.

Mon épouse est criminelle, et c’est moi qu’on punit. Une autre femme est nécessaire à la consolation de ma vie, à ma vertu même ; et la secte dont je suis me la refuse ; elle me défend de me marier avec une fille honnête. Les lois civiles d’aujourd’hui, malheureusement fondées sur le droit canon, me privent des droits de l’humanité. L’Église me réduit à chercher ou des plaisirs qu’elle réprouve, ou des dédommagements honteux qu’elle condamne ; elle veut me forcer d’être criminel.

Je jette les yeux sur tous les peuples de la terre, il n’y en a pas un seul, excepté le peuple catholique romain, chez qui le divorce et un nouveau mariage ne soient de droit naturel.

Quel renversement de l’ordre a donc fait chez les catholiques une vertu de souffrir l’adultère, et un devoir de manquer de femme quand on a été indignement outragé par la sienne ?

Pourquoi un lien pourri est-il indissoluble, malgré la grande loi adoptée par le code : quidquid ligatur dissolubile est ? On me permet la séparation de corps et de biens, et on ne me permet pas le divorce. La loi peut m’ôter ma femme, et elle me laisse un nom qu’on appelle sacrement ! je ne jouis plus du mariage, et je suis marié. Quelle contradiction ! quel esclavage ! et sous quelles lois avons-nous reçu la naissance !

Ce qui est bien plus étrange, c’est que cette loi de mon Église est directement contraire aux paroles que cette Église elle-même croit avoir été prononcées par Jésus-Christ[1] : « Quiconque a renvoyé sa femme (excepté pour adultère) pèche s’il en prend une autre. »

Je n’examine point si les pontifes de Rome ont été en droit de violer à leur plaisir la loi de celui qu’ils regardent comme leur maître ; si, lorsqu’un État a besoin d’un héritier, il est permis de répudier celle qui ne peut en donner. Je ne recherche point si une femme turbulente, attaquée de démence, ou homicide, ou empoisonneuse, ne doit pas être répudiée aussi bien qu’une adultère ; je m’en tiens au triste état qui me concerne : Dieu me permet de me remarier, et l’évêque de Rome ne me le permet pas !

Le divorce a été en usage chez les catholiques sous tous les empereurs ; il l’a été dans tous les États démembrés de l’empire

  1. Matthieu, chapitre xix, v. 9. (Note de Voltaire.)