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CAUSES FINALES.

« Ne vous tuez pas vous-même, car Dieu est miséricordieux envers vous ; et quiconque se tue par malice et par méchanceté sera certainement rôti au feu d’enfer. »

Nous traduisons mot à mot. Le texte semble n’avoir pas le sens commun ; ce qui n’est pas rare dans les textes. Que veut dire « Ne vous tuez point vous-même, car Dieu est miséricordieux » ? Peut-être faut-il entendre : Ne succombez pas à vos malheurs, que Dieu peut adoucir ; ne soyez pas assez fou pour vous donner la mort aujourd’hui, pouvant être heureux demain.

« Et quiconque se tue par malice et par méchanceté. » Cela est plus difficile à expliquer. Il n’est peut-être jamais arrivé dans l’antiquité qu’à la Phèdre d’Euripide de se pendre exprès pour faire accroire à Thésée qu’Hippolyte l’avait violée. De nos jours, un homme s’est tiré un coup de pistolet dans la tête, ayant tout arrangé pour faire jeter le soupçon sur un autre.

Dans la comédie de George Dandin, la coquine de femme qu’il a épousée le menace de se tuer pour le faire pendre. Ces cas sont rares : si Mahomet les a prévus, on peut dire qu’il voyait de loin[1].

CAUSES FINALES[2].


SECTION PREMIÈRE.


Virgile dit (Æn., VI, 727) :

Mens agitat molem, et magno se corpore miscet.
L’esprit régit le monde ; il s’y mêle, il l’anime.

  1. Ici, dans les Questions sur l’Encyclopédie, Voltaire avait ajouté et transcrit en entier le paragraphe 19 de son Commentaire sur le livre Des Délits et des Peines (où il est question de Saint-Cyran) ; voyez Mélanges, année 1766. (B.)
  2. Dans la première édition des Questions sur l’Encyclopédie, troisième partie, 1770, et dans toutes les éditions données du vivant de l’auteur, voici quelle était la disposition de l’article : 1° en forme de préambule, ce qui forme aujourd’hui la première section ; 2° sous le titre de Cause finale, première section, le morceau qui fait aujourd’hui la deuxième section ; 3° sous le titre de seconde section, ce qui forme aujourd’hui la troisième. (B.)

    — Voltaire, qu’Helvétius appelait un cause-finalier, combat, dans cet article, le célèbre Système de la nature, du baron d’Holbach. Ce traité de l’athéisme parut en 1770, sous le nom de feu M. Mirabaud, qui avait été secrétaire perpétuel de l’Académie française, ancien oratorien et instituteur des princesses de la maison d’Orléans. Le fond de la théorie de d’Holbach se trouve dans la Lettre de Thrasybule à Leucippe, publiée également sous le nom d’un mort, le savant Fréret, mais qu’on attribue, les uns à Lévesque, les autres à Naigeon. Ce qui est certain, c’est que Diderot initia d’Holbach à la doctrine que celui-ci prêcha toute sa vie, et qu’il rédigea en partie le Système de la nature. D’origine allemande, d’Holbach était laborieux, bienveillant, libéral, bonhomme, vivant dans sa famille et tout à ses amis. Cet homme, si simplement simple, pour parler comme Mme Geoffrin, avait fait de son hôtel une sorte d’académie où se réunissaient à jour fixe Diderot, Helvétius, Raynal, Marmontel, Saint-Lambert, Morellet, Galiani, Grimm, La Grange, Naigeon. On vit aussi chez lui Turgot, Hume, Condillac, d’Alembert, et Buffon, ainsi que J.-J. Rousseau, dont la brouille avec les d’holbachiens est fameuse. Cette société s’appelait la synagogue. Le baron d’Holbach, qui avait poussé plus qu’aucun autre à la révolution, eut le bonheur de la voir éclore, car il ne mourut qu’en 1789. (G. A.)