Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome18.djvu/115

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
105
CAUSES FINALES.

Il ne résulte de cette objection rien autre, ce me semble, sinon que tout est l’effet prochain ou éloigné d’une cause finale générale ; que tout est la suite des lois éternelles.

Les pierres, en tout lieu et en tout temps, ne composent pas des bâtiments ; tous les nez ne portent pas des lunettes ; tous les doigts n’ont pas une bague ; toutes les jambes ne sont pas couvertes de bas de soie. Un ver à soie n’est donc pas fait pour couvrir mes jambes, précisément comme votre bouche est faite pour manger, et votre derrière pour aller à la garde-robe. Il y a donc des effets immédiats produits par les causes finales, et des effets en très-grand nombre qui sont des produits éloignés de ces causes.

Tout ce qui appartient à la nature est uniforme, immuable, est l’ouvrage immédiat du Maître : c’est lui qui a créé les lois par lesquelles la lune entre pour les trois quarts dans la cause du flux et du reflux de l’Océan, et le soleil pour son quart ; c’est lui qui a donné un mouvement de rotation au soleil, par lequel cet astre envoie en sept minutes et demie des rayons de lumière dans les yeux des hommes, des crocodiles, et des chats.

Mais si, après bien des siècles, nous nous sommes avisés d’inventer des ciseaux et des broches, de tondre avec les uns la laine des moutons et de les faire cuire avec les autres pour les manger, que peut-on en inférer autre chose sinon que Dieu nous a faits de façon qu’un jour nous deviendrions nécessairement industrieux et carnassiers ?

Les moutons n’ont pas sans doute été faits absolument pour être cuits et mangés, puisque plusieurs nations s’abstiennent de cette horreur. Les hommes ne sont pas créés essentiellement pour se massacrer, puisque les brames et les respectables primitifs qu’on nomme quakers ne tuent personne ; mais la pâte dont nous sommes pétris produit souvent des massacres, comme elle produit des calomnies, des vanités, des persécutions, et des impertinences. Ce n’est pas que la formation de l’homme soit précisément la cause finale de nos fureurs et de nos sottises : car une cause finale est universelle et invariable en tout temps et en tout lieu ; mais les horreurs et les absurdités de l’espèce humaine n’en sont pas moins dans l’ordre éternel des choses. Quand nous battons notre blé, le fléau est la cause finale de la séparation du grain,