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CÉRÉMONIES.

sieur le marquis, à votre santé, le voilà marquis, lui et ses enfants, à tout jamais. Qu’un provincial en France, qui possédera pour tout bien dans son village la quatrième partie d’une petite châtellenie ruinée, arrive à Paris ; qu’il y fasse un peu de fortune, ou qu’il ait l’air de l’avoir faite, il s’intitule dans ses actes : Haut et puissant seigneur, marquis et comte ; et son fils sera chez son notaire : Très-haut et très-puissant seigneur ; et comme cette petite ambition ne nuit en rien au gouvernement, ni à la société civile, on n’y prend pas garde. Quelques seigneurs français se vantent d’avoir des barons allemands dans leurs écuries ; quelques seigneurs allemands disent qu’ils ont des marquis français dans leurs cuisines ; il n’y a pas longtemps qu’un étranger, étant à Naples, fit son cocher duc. La coutume en cela est plus forte que l’autorité royale. Soyez peu connu à Paris, vous y serez comte ou marquis tant qu’il vous plaira ; soyez homme de robe ou de finance, et que le roi vous donne un marquisat bien réel, vous ne serez jamais pour cela monsieur le marquis. Le célèbre Samuel Bernard était plus comte que cinq cents comtes que nous voyons qui ne possèdent pas quatre arpents de terre ; le roi avait érigé pour lui sa terre de Coubert en bon comté. S’il se fût fait annoncer dans une visite : le comte Bernard, on aurait éclaté de rire. Il en va tout autrement en Angleterre. Si le roi donne à un négociant un titre de comte ou de baron, il reçoit sans difficulté de toute la nation le nom qui lui est propre. Les gens de la plus haute naissance, le roi lui-même, l’appellent : Milord, monseigneur. Il en est de même en Italie : il y a le protocole des monsignori. Le pape lui même leur donne ce titre. Son médecin est monsignore, et personne n’y trouve à redire.

En France le monseigneur est une terrible affaire. Un évêque n’était, avant le cardinal de Richelieu, que mon révérendissime père en Dieu[1].

Avant l’année 1635, non-seulement les évêques ne se monseigneurisaient pas, mais ils ne donnaient point du monseigneur aux cardinaux. Ces deux habitudes s’introduisirent par un évêque de Chartres, qui alla en camail et en rochet appeler monseigneur le cardinal de Richelieu ; sur quoi Louis XIII dit, si l’on en croit les Mémoires de l’archevêque de Toulouse, Montchal : « Ce Chartrain

  1. En 1750 il y avait : « Mon révérendissime père en Dieu ; mais quand Richelieu fut secrétaire d’État, étant encore évêque de Luçon, ses confrères les évêques, pour ne pas lui donner ce titre exclusif de monseigneur que les secrétaires d’État commencèrent à prendre, convinrent de se le donner à eux-mêmes. Cette entreprise n’essuya, etc. » (B.)