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CERTAIN, CERTITUDE.

Si tel est le malheur de l’humanité qu’on soit obligé de se contenter d’extrêmes probabilités, il faut du moins consulter l’âge, le rang, la conduite de l’accusé, l’intérêt qu’il peut avoir eu à commettre le crime, l’intérêt de ses ennemis à le perdre ; il faut que chaque juge se dise : La postérité, l’Europe entière ne condamnera-t-elle pas ma sentence ? dormirai-je tranquille, les mains teintes du sang innocent ?

Passons de cet horrible tableau à d’autres exemples d’une certitude qui conduit droit à l’erreur.

« Pourquoi te charges-tu de chaînes, fanatique et malheureux santon ? pourquoi as-tu mis à ta vilaine verge un gros anneau de fer ? — C’est que je suis certain d’être placé un jour dans le premier des paradis, à côté du grand prophète. — Hélas ! mon ami, viens avec moi dans ton voisinage au mont Athos, et tu verras trois mille gueux qui sont certains que tu iras dans le gouffre qui est sous le pont aigu, et qu’ils iront tous dans le premier paradis. »

« Arrête, misérable veuve malabare ! ne crois point ce fou qui te persuade que tu seras réunie à ton mari dans les délices d’un autre monde si tu te brûles sur son bûcher. — Non, je me brûlerai ; je suis certaine de vivre dans les délices avec mon époux ; mon brame me l’a dit. »

Prenons des certitudes moins affreuses, et qui aient un peu plus de vraisemblance.

«[1] Quel âge a votre ami Christophe ? — Vingt-huit ans ; j’ai vu son contrat de mariage, son extrait baptistaire, je le connais dès son enfance ; il a vingt-huit ans, j’en ai la certitude, j’en suis certain. »

À peine ai-je entendu la réponse de cet homme si sûr de ce qu’il dit, et de vingt autres qui confirment la même chose, que j’apprends qu’on a antidaté par des raisons secrètes, et par un manège singulier, l’extrait baptistaire de Christophe. Ceux à qui j’avais parlé n’en savent encore rien ; cependant ils ont toujours la certitude de ce qui n’est pas.

Si vous aviez demandé à la terre entière avant le temps de Copernic : « Le soleil est-il levé ? s’est-il couché aujourd’hui ? » tous les hommes vous auraient répondu : « Nous en avons une certitude entière. » Ils étaient certains, et ils étaient dans l’erreur.

Les sortiléges, les divinations, les obsessions, ont été longtemps la chose du monde la plus certaine aux yeux de tous les

  1. Commencement de l’article dans le Dictionnaire philosophique, en 1764. (B.)