Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome18.djvu/138

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
128
CHANGEMENTS ARRIVÉS DANS LE GLOBE.

détacher et couvrir des champs, un château tout entier enfoncé dans la terre, un fleuve englouti qui sort ensuite de son abîme, des marques indubitables qu’un vaste amas d’eau inondait autrefois un pays habité aujourd’hui, et cent vestiges d’autres révolutions, on est alors plus disposé à croire les grands changements qui ont altéré la face du monde, que ne l’est une dame de Paris qui sait seulement que la place où est bâtie sa maison était autrefois un champ labourable. Mais une dame de Naples, qui a vu sous terre les ruines d’Herculanum, est encore moins asservie au préjugé qui nous fait croire que tout a toujours été comme il est aujourd’hui.

Y a-t-il eu un grand embrasement du temps d’un Phaéton ? rien n’est plus vraisemblable ; mais ce ne fut ni l’ambition de Phaéton ni la colère de Jupiter foudroyant qui causèrent cette catastrophe ; de même qu’en 1755 ce ne furent point les feux allumés si souvent dans Lisbonne par l’Inquisition qui ont attiré la vengeance divine, qui ont allumé les feux souterrains, et qui ont détruit la moitié de la ville : car Méquinez, Tétuan, et des hordes considérables d’Arabes, furent encore plus maltraités que Lisbonne ; et il n’y avait point d’Inquisition dans ces contrées.

L’île de Saint-Domingue, toute bouleversée depuis peu, n’avait pas déplu au grand Être plus que l’île de Corse. Tout est soumis aux lois physiques éternelles.

Le soufre, le bitume, le nitre, le fer, renfermés dans la terre, ont par leurs mélanges et par leurs explosions renversé mille cités, ouvert et fermé mille gouffres ; et nous sommes menacés tous les jours de ces accidents attachés à la manière dont ce monde est fabriqué, comme nous sommes menacés dans plusieurs contrées des loups et des tigres affamés pendant l’hiver.

Si le feu, que Démocrite croyait le principe de tout, a bouleversé une partie de la terre, le premier principe de Thalès, l’eau, a causé d’aussi grands changements.

La moitié de l’Amérique est encore inondée par les anciens débordements du Maragnon, de Rio de la Piata, du fleuve Saint-Laurent, du Mississipi, et de toutes les rivières perpétuellement augmentées par les neiges éternelles des montagnes les plus hautes de la terre, qui traversent ce continent d’un bout à l’autre. Ces déluges accumulés ont produit presque partout de vastes marais. Les terres voisines sont devenues inhabitables ; et la terre, que les mains des hommes auraient dû fertiliser, a produit des poisons.

La même chose était arrivée à la Chine et à l’Égypte ; il fallut