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CHARITÉ, HÔPITAUX.

celui de fournir des blés au peuple. Trois cent vingt-sept greniers immenses étaient établis à Rome. Avec cette libéralité continuelle, on n’avait pas besoin d’hôpital, il n’y avait point de nécessiteux.

On ne pouvait fonder des maisons de charité pour les enfants trouvés ; personne n’exposait ses enfants ; les maîtres prenaient soin de ceux de leurs esclaves. Ce n’était point une honte à une fille du peuple d’accoucher. Les plus pauvres familles, nourries par la république, et ensuite par les empereurs, voyaient la subsistance de leurs enfants assurée.

Le mot de maison de charité suppose, chez nos nations modernes, une indigence que la forme de nos gouvernements n’a pu prévenir.

Le mot d’hôpital, qui rappelle celui d’hospitalité, fait souvenir d’une vertu célèbre chez les Grecs, qui n’existe plus ; mais aussi il exprime une vertu bien supérieure. La différence est grande entre loger, nourrir, guérir tous les malheureux qui se présentent, et recevoir chez vous deux ou trois voyageurs chez qui vous aviez aussi le droit d’être reçu. L’hospitalité, après tout, n’était qu’un échange. Les hôpitaux sont des monuments de bienfaisance.

Il est vrai que les Grecs connaissaient les hôpitaux sous le nom de Xenodokia pour les étrangers, Nozocomeia pour les malades, et de Ptôkia pour les pauvres. On lit dans Diogène de Laërce, concernant Bion, ce passage : « Il souffrit beaucoup par l’indigence de ceux qui étaient chargés du soin des malades. »

L’hospitalité entre particuliers s’appelait Idioxenia, et entre les étrangers Proxenia. De là on appelait Proxenos celui qui recevait et entretenait chez lui les étrangers au nom de toute la ville ; mais cette institution paraît avoir été fort rare.

Il n’est guère aujourd’hui de ville en Europe sans hôpitaux. Les Turcs en ont, et même pour les bêtes, ce qui semble outrer la charité. Il vaudrait mieux oublier les bêtes et songer davantage aux hommes.

Cette prodigieuse multitude de maisons de charité prouve évidemment une vérité à laquelle on ne fait pas assez d’attention : c’est que l’homme n’est pas si méchant qu’on le dit ; et que malgré toutes ses fausses opinions, malgré les horreurs de la guerre, qui le changent en bête féroce, on peut croire que cet animal est bon, et qu’il n’est méchant que quand il est effarouché, ainsi que les autres animaux : le mal est qu’on l’agace trop souvent.