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DE LA CHINE.

qui sont encore plus considérables[1] ; et à l’ouest les princes de Tartarie, qui nous font la guerre depuis huit ans... Laurent Lange, compagnon du prince Ismaelof, ambassadeur du czar, demandait qu’on accordât aux Russes la permission d’avoir dans toutes les provinces une factorerie ; on ne le leur permit qu’à Pékin et sur les limites de Kalkas. Je vous permets de demeurer de même ici et à Kanton, tant que vous ne donnerez aucun sujet de plainte ; et si vous en donnez, je ne vous laisserai ni ici ni à Kanton. »

On abattit leurs maisons et leurs églises dans toutes les autres provinces. Enfin les plaintes contre eux redoublèrent. Ce qu’on leur reprochait le plus, c’était d’affaiblir dans les enfants le respect pour leurs pères, en ne rendant point les honneurs dus aux ancêtres ; d’assembler indécemment les jeunes gens et les filles dans les lieux écartés qu’ils appelaient églises ; de faire agenouiller les filles entre leurs jambes, et de leur parler bas en cette posture. Rien ne paraissait plus monstrueux à la délicatesse chinoise. L’empereur Yong-tching daigna même en avertir les jésuites ; après quoi il renvoya la plupart des missionnaires à Macao, mais avec des politesses et des attentions dont les seuls Chinois peut-être sont capables.

Il retint à Pékin quelques jésuites mathématiciens, entre autres ce même Parennin dont nous avons déjà parlé, et qui, possédant parfaitement le chinois et le tartare, avait souvent servi d’interprète. Plusieurs jésuites se cachèrent dans des provinces éloignées, d’autres dans Kanton même ; et on ferma les yeux.

Enfin l’empereur Yong-tching étant mort, son fils et son successeur Kien-Long acheva de contenter la nation en faisant partir pour Macao tous les missionnaires déguisés qu’on put trouver dans l’empire. Un édit solennel leur en interdit à jamais l’entrée. S’il en vient quelques-uns, on les prie civilement d’aller exercer leurs talents ailleurs. Point de traitement dur, point de persécution. On m’a assuré qu’en 1760, un jésuite de Rome étant allé à Kanton, et ayant été déféré par un facteur des Hollandais, le colao, gouverneur de Kanton, le renvoya avec un présent d’une pièce de soie, des provisions, et de l’argent.


Du prétendu athéisme de la Chine.


On a examiné plusieurs fois cette accusation d’athéisme, intentée par nos théologaux d’Occident contre le gouvernement

  1. Yong-tching entend par là les établissements des Européans dans l’Inde. (Note de Voltaire.)