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CHRISTIANISME.

nazaréens, disciples d’Hymeneos, d’AIexandros, d’Hermogènes ; carpocratiens, basilidiens, valentiniens, marcionites, sabelliens, gnostiques, montanistes ; cent sectes élevées les unes contre les autres : toutes, en se faisant des reproches mutuels, étaient cependant toutes unies en Jésus, invoquaient Jésus, voyaient en Jésus l’objet de leurs pensées et le prix de leurs travaux.

L’empire romain, dans lequel se formèrent toutes ces sociétés, n’y fit pas d’abord attention. On ne les connut à Rome que sous le nom général de Juifs, auxquels le gouvernement ne prenait pas garde. Les Juifs avaient acquis par leur argent le droit de commercer. On en chassa de Rome quatre mille sous Tibère. Le peuple les accusa de l’incendie de Rome sous Néron, eux et les nouveaux Juifs demi-chrétiens.

On les avait chassés encore sous Claude ; mais leur argent les fit toujours revenir. Ils furent méprisés et tranquilles. Les chrétiens de Rome furent moins nombreux que ceux de Grèce, d’Alexandrie et de Syrie. Les Romains n’eurent ni Pères de l’Église, ni hérésiarques dans les premiers siècles. Plus ils étaient éloignés du berceau du christianisme, moins on vit chez eux de docteurs et d’écrivains. L’Église était grecque, et tellement grecque, qu’il n’y eut pas un seul mystère, un seul rite, un seul dogme, qui ne fût exprimé en cette langue.

Tous les chrétiens, soit grecs, soit syriens, soit romains, soit égyptiens, étaient partout regardés comme des demi-juifs. C’était encore une raison de plus pour ne pas communiquer leurs livres aux Gentils, pour rester unis entre eux et impénétrables. Leur secret était plus inviolablement gardé que celui des mystères d’Isis et de Cérès. Ils faisaient une république à part, un État dans l’État. Point de temples, point d’autels, nul sacrifice, aucune cérémonie publique. Ils élisaient leurs supérieurs secrets à la pluralité des voix. Ces supérieurs, sous le nom d’anciens, de prêtres, d’évêques, de diacres, ménageaient la bourse commune, avaient soin des malades, pacifiaient leurs querelles. C’était une honte, un crime parmi eux, de plaider devant les tribunaux, de s’enrôler dans la milice ; et pendant cent ans il n’y eut pas un chrétien dans les armées de l’empire.

Ainsi retirés au milieu du monde, et inconnus même en se montrant, ils échappaient à la tyrannie des proconsuls et des préteurs, et vivaient libres dans le public esclavage.

On ignore l’auteur du fameux livre intitulé Τῶν ἀποστόλων διαταγὰι, « les Constitutions apostoliques » ; de même qu’on ignore les auteurs des cinquante Évangiles non reçus, et des Actes de