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DÉCRÉTALES.

présent pour les lieutenants des évêques, mais pour les seigneurs de la terre. Et, comme dit saint Léon et le concile romain, les rois et les empereurs que Dieu a établis pour commander sur la terre ont permis aux évêques de régler leurs affaires suivant leurs ordonnances ; mais ils n’ont pas été les économes des évêques, et si vous feuilletez les registres de vos prédécesseurs, vous ne trouverez point qu’ils aient écrit aux nôtres comme vous venez de nous écrire. »

Il rapporte ensuite deux lettres de saint Grégoire pour montrer avec quelle modestie il écrivait, non-seulement aux rois de France, mais aux exarques d’Italie. « Enfin, conclut-il, je vous prie de ne me plus envoyer, à moi ni aux évêques de mon royaume, de telles lettres, afin que nous puissions toujours leur rendre l’honneur et le respect qui leur convient. » Les évêques du concile de Douzy répondirent au pape à peu près sur le même ton ; et quoique nous n’ayons pas la lettre en entier, il paraît qu’ils voulaient prouver que l’appel d’Hincmar ne devait pas être jugé à Rome, mais en France par des juges délégués conformément aux canons du concile de Sardique.

Ces deux exemples suffisent pour faire sentir combien les papes étendaient leur juridiction à la faveur de ces fausses décrétales. Et quoique Hincmar de Reims objectât à Adrien que, n’étant point rapportées dans le code des canons, elles ne pouvaient renverser la discipline établie par les canons, ce qui le fit accuser auprès du pape Jean VIII de ne pas recevoir les décrétales des papes, il ne laissa pas d’alléguer lui-même ces décrétales dans ses lettres et ses autres opuscules. Son exemple fut suivi par plusieurs évêques. On admit d’abord celles qui n’étaient point contraires aux canons les plus récents, ensuite on se rendit encore moins scrupuleux.

Les conciles eux-mêmes en firent usage. C’est ainsi que dans celui de Reims, tenu l’an 992, les évêques se servirent des décrétales d’Anaclet, de Jules, de Damase, et des autres papes, dans la cause d’Arnoul. Les conciles suivants imitèrent celui de Reims. Les papes Grégoire VII, Urbain II, Pascal II, Urbain III, Alexandre III, soutinrent les maximes qu’ils y lisaient, persuadés que c’était la discipline des beaux jours de l’Église. Enfin les compilateurs des canons, Bouchard de Vorms, Yves de Chartres, et Gratien, en remplirent leur collection. Lorsqu’on eut commencé à enseigner le décret publiquement dans les écoles, et à le commenter, tous les théologiens polémiques et scolastiques, et tous les interprètes du droit canon, employèrent à l’envi ces