Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome18.djvu/345

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
335
DÉMOCRATIE.


Il s’agissait alors de savoir comment l’Europe penserait sur des questions que personne n’entendait. C’était la guerre de l’esprit humain. On eut des Calvin, des Bèze, des Turretin, pour ses Démosthènes, ses Platon et ses Aristote.

L’absurdité de la plupart des questions de controverse qui tenaient l’Europe attentive ayant été enfin reconnue, la petite république se tourna vers ce qui paraît solide, l’acquisition des richesses. Le système de Lass, plus chimérique et non moins funeste que ceux des supralapsaires et des infralapsaires, engagea dans l’arithmétique ceux qui ne pouvaient plus se faire un nom en théo-morianique. Ils devinrent riches, et ne furent plus rien.

On croit qu’il n’y a aujourd’hui de républiques qu’en Europe. Ou je me trompe, ou je l’ai dit aussi quelque part[1] ; mais c’eût été une très-grande inadvertance. Les Espagnols trouvèrent en Amérique la république de Tlascala très-bien établie. Tout ce qui n’a pas été subjugué dans cette partie du monde est encore république. Il n’y avait dans tout ce continent que deux royaumes lorsqu’il fut découvert ; et cela pourrait bien prouver que le gouvernement républicain est le plus naturel. Il faut s’être bien raffiné, et avoir passé par bien des épreuves, pour se soumettre au gouvernement d’un seul.

En Afrique, les Hottentots, les Cafres, et plusieurs peuplades de nègres, sont des démocraties. On prétend que les pays où l’on vend le plus de nègres sont gouvernés par des rois. Tripoli, Tunis, Alger, sont des républiques de soldats et de pirates. Il y en a aujourd’hui de pareilles dans l’Inde : les Marattes, plusieurs hordes de Patanes, les Seiks, n’ont point de rois : ils élisent des chefs quand ils vont piller.

Telles sont encore plusieurs sociétés de Tartares. L’empire turc même a été très-longtemps une république de janissaires qui étranglaient souvent leur sultan quand leur sultan ne les faisait pas décimer.

On demande tous les jours si un gouvernement républicain est préférable à celui d’un roi ? La dispute finit toujours par convenir qu’il est fort difficile de gouverner les hommes. Les Juifs eurent pour maître Dieu même ; voyez ce qui leur en est arrivé : ils ont été presque toujours battus et esclaves, et aujourd’hui ne trouvez-vous pas qu’ils font une belle figure ?

  1. Voltaire veut parler sans doute ici de ce qu’il a dit dans l’Essai sur les Mœurs, chapitre cxcvii. Voyez tome XIII, pages 178 et suiv.