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DE DIODORE, ET D’HÉRODOTE.

dix siècles avant Hérodote imaginèrent de faire des eunuques qui leur répondissent de la chasteté de leurs femmes[1]. Je m’arrête ; si quelqu’un veut suivre l’ordre de ces numéros, il sera bientôt à cent.

Tout ce que dit Diodore de Sicile, sept siècles après Hérodote, est de la même force dans tout ce qui regarde les antiquités et la physique. L’abbé Terrasson nous disait : « Je traduis le texte de Diodore dans toute sa turpitude. » Il nous en lisait quelquefois des morceaux chez M. de La Faye ; et quand on riait, il disait : « Vous verrez bien autre chose. » Il était tout le contraire de Dacier.

Le plus beau morceau de Diodore est la charmante description de l’île Panchaïe, Panchaïca tellus, célébrée par Virgile[2]. Ce sont des allées d’arbres odoriférants, à perte de vue ; de la myrrhe et de l’encens pour en fournir au monde entier sans s’épuiser ; des fontaines qui forment une infinité de canaux bordés de fleurs ; des oiseaux ailleurs inconnus, qui chantent sous d’éternels ombrages ; un temple de marbre de quatre mille pieds de longueur, orné de colonnes et de statues colossales, etc., etc.

Cela fait souvenir du duc de La Ferté, qui, pour flatter le goût de l’abbé Servien, lui disait un jour : « Ah ! si vous aviez vu mon fils, qui est mort à l’âge de quinze ans ! quels yeux ! quelle fraîcheur de teint ! quelle taille admirable ! l’Antinoüs du Belvédère n’était auprès de lui qu’un magot de la Chine ; et puis, quelle douceur de mœurs ! faut-il que ce qu’il y a jamais eu de plus beau m’ait été enlevé ! » L’abbé Servien s’attendrit ; le duc de La Ferté, s’échauffant par ses propres paroles, s’attendrit aussi : tous deux enfin se mirent à pleurer ; après quoi il avoua qu’il n’avait jamais eu de fils.

Un certain abbé Bazin avait relevé avec sa discrétion ordinaire un autre conte de Diodore[3]. C’était à propos du roi d’Égypte Sésostris, qui, probablement, n’a pas plus existé que l’île Panchaïe. Le père de Sésostris, qu’on ne nomme point, imagina, le jour que

  1. Remarquez qu’Hérodote vivait du temps de Xerxès, lorsque Babylone était dans sa plus grande splendeur : les Grecs ignoraient la langue chaldéenne. Quelque interprète se moqua de lui, ou Hérodote se moqua des Grecs. Lorsque les musicos d’Amsterdam étaient dans leur plus grande vogue, on aurait bien pu faire accroire à un étranger que les premières dames de la ville venaient se prostituer aux matelots qui revenaient de l’Inde, pour les récompenser de leurs peines. Le plus plaisant de tout ceci, c’est que des pédants welches ont trouvé la coutume de Babylone très-vraisemblable et très-honnête. (Note de Voltaire.)
  2. Panchaïa tellus est d’Ovide, Métam., X, 309 ; Virgile, Georg., II, 139, dit : Panchaïa pinguis.
  3. Voyez le paragraphe xix de la Philosophie de l’histoire, devenue l’Introduction à l’Essai sur les Mœurs, tome XI, page 61.