Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome18.djvu/411

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
401
DISPUTE.

La contrariété tient souvent au langage ;
On peut s’entendre moins, formant un même son,
Que si l’un parlait basque, et l’autre bas-breton.
C’est là, qui le croirait ? un fléau redoutable ;
Et la pâle famine, et la peste effroyable.
N’égalent point les maux et les troubles divers
Que les malentendus sèment dans l’univers.

Peindrai-je des dévots les discordes funestes,
Les saints emportements de ces âmes célestes,
Le fanatisme au meurtre excitant les humains,
Des poisons, des poignards, des flambeaux dans les mains ;
Nos villages déserts, nos villes embrasées,
Sous nos foyers détruits nos mères écrasées ;
Dans nos temples sanglants abandonnés du ciel,
Les ministres rivaux égorgés sur l’autel ;
Tous les crimes unis, meurtre, inceste, pillage,
Les fureurs du plaisir se mêlant au carnage ;
Sur des corps expirants, d’infâmes ravisseurs
Dans leurs embrassements reconnaissant leurs sœurs :
L’étranger dévorant le sein de ma patrie.
Et sous la piété déguisant sa furie ;
Les pères conduisant leurs enfants aux bourreaux.
Et les vaincus toujours traînés aux échafauds ?...
Dieu puissant ! permettez que ces temps déplorables
Un jour par nos neveux soient mis au rang des fables.

Mais je vois s’avancer un fâcheux disputeur ;
Son air d’humilité couvre mal sa hauteur ;
Et son austérité, pleine de l’Évangile,
Paraît offrir à Dieu le venin qu’il distille.
« Monsieur, tout ceci cache un dangereux poison :
Personne, selon vous, n’a ni tort ni raison ;
Et sur la vérité n’ayant point de mesure,
Il faut suivre pour loi l’instinct de la nature !

— Monsieur, je n’ai pas dit un mot de tout cela...
— Oh ! quoique vous ayez déguisé ce sens-là,
En vous interprétant la chose devient claire...

— Mais en termes précis j’ai dit tout le contraire.
Cherchons la vérité, mais d’un commun accord :
Qui discute a raison, et qui dispute a tort.

Voilà ce que j’ai dit : et d’ailleurs, qu’à la guerre,
À la ville, à la cour, souvent il faut se taire...
— Mon cher monsieur, ceci cache toujours deux sens ;