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FIÈVRE.

Il met la fièvre en nos climats,
Et le remède en Amérique[1].

Tout animal qui ne meurt pas de mort subite périt par la fièvre. Cette fièvre paraît l’effet inévitable des liqueurs qui composent le sang, ou ce qui tient lieu de sang. C’est pourquoi les métaux, les minéraux, les marbres durent si long-temps, et les hommes si peu. La structure de tout animal prouve aux physiciens qu’il a dû, de tout temps, jouir d’une très-courte vie. Les théologiens ont eu ou ont étalé d’autres sentiments. Ce n’est pas à nous d’examiner cette question. Les physiciens, les médecins, ont raison in sensu humano ; et des théologiens ont raison in sensu divino. Il est dit au Deutéronome (chap. xxviii, v. 22) que « si les Juifs n’observent pas la loi, ils tomberont dans la pauvreté, ils souffriront le froid et le chaud, et ils auront la fièvre ». Il n’y a jamais eu que le Deutéronome et le Médecin malgré lui (acte II, sc. v) qui aient menacé les gens de leur donner la fièvre.

Il paraît impossible que la fièvre ne soit pas un accident naturel à un corps animé, dans lequel circulent tant de liqueurs, comme il est impossible que ce corps animé ne soit point écrasé par la chute d’un rocher.

Le sang fait la vie. C’est lui qui fournit à chaque viscère, à chaque membre, à la peau, à l’extrémité des poils et des ongles, les liqueurs, les humeurs, qui leur sont propres.

Ce sang, par lequel l’animal est en vie, est formé par le chyle. Ce chyle est envoyé de la mère à l’enfant dans la grossesse. Le lait de la nourrice produit ce même chyle dès que l’enfant est né. Plus il se nourrit ensuite de différents aliments, plus ce chyle est sujet à s’aigrir. Lui seul formant le sang, et ce sang étant composé de tant d’humeurs différentes si sujettes à se corrompre, ce sang circulant dans tout le corps humain plus de cinq cent cinquante fois en vingt-quatre heures avec la rapidité d’un torrent, il est étonnant que l’homme n’ait pas plus souvent la fièvre ; il est étonnant qu’il vive. À chaque articulation, à chaque glande, à chaque passage, il y a un danger de mort ; mais aussi il y a autant de secours que de dangers. Presque toute membrane s’élargit et se resserre selon le besoin. Toutes les veines ont des écluses qui s’ouvrent et qui se ferment, qui donnent passage au sang, et qui s’opposent à un retour par lequel la machine serait détruite. Le

  1. Vers de Voltaire. Voyez, tome X, l’Épître au roi de Prusse (année 1751), qui commence par ces mots : « Blaise Pascal a tort, etc. »