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FIGURE.

Fatal Amour, tes traits sont différents[1] :
Les uns sont d’or, ils sont doux et perçants,
Ils font qu’on aime ; et d’autres au contraire
Sont d’un vil plomb qui rend froid et sévère.
dieu d’amour, en qui j’ai tant de foi,
Prends tes traits d’or pour Aminte et pour moi.

Toutes ces figures sont ingénieuses et ne trompent personne. Quand on dit que Vénus, la déesse de la beauté, ne doit point marcher sans les Grâces, on dit une vérité charmante. Ces fables qui étaient dans la bouche de tout le monde, ces allégories si naturelles, avaient tant d’empire sur les esprits que peut-être les premiers chrétiens voulurent les combattre en les imitant. Ils ramassèrent les armes de la mythologie pour la détruire ; mais ils ne purent s’en servir avec la même adresse : ils ne songèrent pas que l’austérité sainte de notre religion ne leur permettait pas d’employer ces ressources, et qu’une main chrétienne aurait mal joué sur la lyre d’Apollon.

Cependant le goût de ces figures typiques et prophétiques était si enraciné qu’il n’y eut guère de prince, d’homme d’État, de pape, de fondateur d’ordre, auquel on n’appliquât des allégories, des allusions prises de l’Écriture sainte. La flatterie et la satire puisèrent à l’envi dans la même source.

On disait au pape Innocent III : « Innocens eris a maledictione[2] », quand il fit une croisade sanglante contre le comte de Toulouse.

Lorsque François Martorillo de Paule fonda les minimes, il se trouva qu’il était prédit dans la Genèse : « Minimus cum patre nostro[3]. »

Le prédicateur qui prêcha devant Jean d’Autriche[4], après la célèbre bataille de Lépante, prit pour son texte : « Fuit homo missus a Deo, cui nomen erat Joannes[5] » ; et cette allusion était fort belle si les autres étaient ridicules. On dit qu’on la répéta pour Jean Sobieski, après la délivrance devienne ; mais le prédicateur n’était qu’un plagiaire.

Enfin ce fut un usage si constant qu’aucun prédicateur de nos jours n’a jamais manqué de prendre une allégorie pour son

  1. Voyez Nanine, acte Ier, scène ire, et le prologue du chant XXI de la Pucelle.
  2. Genèse, xxiv, 41.
  3. Ibid., xlii, 13.
  4. Voyez tome XII, page 453 ; voyez aussi, tome XIV, le chapitre xiv du Siècle de Louis XIV.
  5. Saint Jean : Évangile, I, 6.