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FLEUVES.

ces belles et longues grottes par lesquelles passent tous les fleuves de la terre : le Pô, qui descend du mont Viso en Piémont, et qui traverse l’Italie ; le Teveron, qui vient de l’Apennin ; le Phase, qui tombe du Caucase dans la mer Noire, etc.

Virgile adoptait là une étrange physique : elle ne devait au moins être permise qu’aux poëtes.

Ces idées furent toujours si accréditées que le Tasse, quinze cents ans après, imita entièrement Virgile dans son quatorzième chant, en imitant bien plus heureusement l’Arioste. Un vieux magicien chrétien mène sous terre les deux chevaliers qui doivent ramener Renaud d’entre les bras d’Armide, comme Mélisse avait arraché Roger aux caresses d’Alcine. Ce bon vieillard fait descendre Renaud dans sa grotte, d’où partent tous les fleuves qui arrosent notre terre : c’est dommage que les fleuves de l’Amérique ne s’y trouvent pas ; mais puisque le Nil, le Danube, la Seine, le Jourdain, le Volga, ont leur source dans cette caverne, cela suffit. Ce qu’il y a de plus conforme encore à la physique des anciens, c’est que cette caverne est au centre de la terre. C’était là que Maupertuis voulait aller faire un tour.

Après avoir avoué que les rivières viennent des montagnes, et que les unes et les autres sont des pièces essentielles à la grande machine, gardons-nous des systèmes qu’on fait journellement.

Quand Maillet imagina que la mer avait formé les montagnes[1], il devait dédier son livre à Cyrano de Bergerac. Quand on a dit que les grandes chaînes de ces montagnes s’étendent d’orient en occident, et que la plus grande partie des fleuves court toujours aussi à l’occident, on a plus consulté l’esprit systématique que la nature.

À l’égard des montagnes, débarquez au cap de Bonne-Espérance, vous trouvez une chaîne de montagnes qui règne du midi au nord jusqu’au Monomotapa. Peu de gens se sont donné le plaisir de voir ce pays, et de voyager sous la ligne en Afrique. Mais Calpé et Abila regardent directement le nord et le midi. De Gibraltar au fleuve de la Guadiana, en tirant droit au nord, ce sont des montagnes contiguës. La Nouvelle-Castille et la Vieille en sont couvertes, toutes les directions sont du sud au nord, comme celles des montagnes de toute l’Amérique. Pour les fleuves, ils coulent en tout sens, selon la disposition des terrains.

Le Guadalquivir va droit au sud depuis Villanueva jusqu’à San-Lucar ; la Guadiana de même depuis Badajoz. Toutes les

  1. Voyez le chapitre xi Des Singularités de la nature (Mélanges, année 1768).