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FRANC OU FRANQ ;

exerçaient le brigandage. Ils se rassemblaient sous des capitaines de bandits, sous des chefs que les historiens ont eu le ridicule d’appeler rois ; Constantin les poursuivit lui-même dans leurs repaires, en fit pendre plusieurs, en livra d’autres aux bêtes dans l’amphithéâtre de Trêves pour son divertissement : deux de leurs prétendus rois, nommés Ascaric et Ragaise, périrent par ce supplice ; c’est sur quoi les panégyristes de Constantin s’extasient, et sur quoi il n’y avait pas tant à se récrier.

La prétendue loi salique, écrite, dit-on, par ces barbares, est une des plus absurdes chimères dont on nous ait jamais bercés. Il serait bien étrange que les Francs eussent écrit dans leurs marais un code considérable, et que les Français n’eussent eu aucune coutume écrite qu’à la fin du règne de Charles VII. Il vaudrait autant dire que les Algonquins et les Chikasaws avaient une loi par écrit. Les hommes ne sont jamais gouvernés par des lois authentiques consignées dans les monuments publics, que quand ils ont été rassemblés dans des villes, qu’ils ont eu une police réglée, des archives, et tout ce qui caractérise une nation civilisée. Dès que vous trouvez un code dans une nation qui était barbare du temps de ce code, qui ne vivait que de rapine et de brigandage, qui n’avait pas une ville fermée, soyez très-sûrs que ce code est supposé, et qu’il a été fait dans des temps très-postérieurs. Tous les sophismes, toutes les suppositions, n’ébranleront jamais cette vérité dans l’esprit des sages.

Ce qu’il y a de plus ridicule, c’est qu’on nous donne cette loi salique en latin, comme si des sauvages errants au delà du Rhin avaient appris la langue latine. On la suppose d’abord rédigée par Clovis, et on le fait parler ainsi :

« Lorsque la nation illustre des Francs était encore réputée barbare, les premiers de cette nation dictèrent la loi salique. On choisit parmi eux quatre des principaux, Visogast, Bodogast, Sologast, et Vidogast, etc.[1] »

Il est bon d’observer que c’est ici la fable de La Fontaine :

Notre magot prit pour ce coup
Le nom d’un port pour un nom d’homme.

(Liv. IV, fab. vii.)

Ces noms sont ceux de quelques cantons franqs dans le pays de Vorms. Quelle que soit l’époque où les coutumes nommées loi

  1. Voyez, dans les Mélanges, année 1777, le paragraphe du Commentaire sur l’Esprit des lois, intitulé De la Loi salique.