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FRANCE, FRANÇOIS, FRANÇAIS.

tons, conserve encore aujourd’hui des vestiges manifestes de cet idiome.

À la fin du xe siècle le français se forma ; on écrivit en français au commencement du onzième ; mais ce français tenait encore plus du romain rustique que du français d’aujourd’hui. Le roman de Philomena, écrit au xe siècle en romain rustique, n’est pas dans une langue fort différente des lois normandes. On voit encore les origines celtes, latines et allemandes. Les mots qui signifient les parties du corps humain, ou des choses d’un usage journalier, et qui n’ont rien de commun avec le latin ou l’allemand, sont de l’ancien gaulois ou celte[1], comme tête, jambe, sabre, aller, pointe, parler, écouter, regarder, aboyer, crier, coutume, ensemble, et plusieurs autres de cette espèce. La plupart des termes de guerre étaient francs ou allemands : marche, halte, maréchal, bivouac, reître, lansquenet. Presque tout le reste est latin ; et les mots latins furent tous abrégés, selon l’usage et le génie des nations du Nord : ainsi de palatium, palais ; de lupus, loup ; d’Auguste, août ; de Junius, juin ; d’unctus, oint ; de purpura, pourpre ; de pretium, prix, etc.... À peine restait-il quelques vestiges de la langue grecque, qu’on avait si longtemps parlée à Marseille.

On commença au xiie siècle à introduire dans la langue quelques termes de la philosophie d’Aristote ; et vers le xvie siècle, on exprima par des termes grecs toutes les parties du corps humain, leurs maladies, leurs remèdes : de là les mots de cardiaque, céphalique, podagre, apoplectique, asthmatique, iliaque, empyème, et tant d’autres. Quoique la langue s’enrichît alors du grec, et que depuis Charles VIII elle tirât beaucoup de secours de l’italien déjà perfectionné, cependant elle n’avait pas pris encore une consistance régulière. François Ier abolit l’ancien usage de plaider, de juger, de contracter en latin : usage qui attestait la barbarie d’une langue dont on n’osait se servir dans les actes publics ; usage pernicieux aux citoyens, dont le sort était réglé dans une langue qu’ils n’entendaient pas. On fut alors obligé de cultiver le français ; mais la langue n’était ni noble ni régulière. La syntaxe était abandonnée au caprice. Le génie de la conversation était tourné à la plaisanterie, la langue devint très-féconde en expressions burlesques et naïves, et très-stérile en termes nobles et harmonieux : de là vient que dans les dictionnaires de rimes on trouve vingt termes convenables à la poé-

  1. On trouve une critique de ce morceau dans l’Année littéraire, 1761, vi, 310-311. (B.). — Voyez Voltaire et ses Maîtres, page 288 et suiv.