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GENÈSE.

chose que la privation de la lumière, et qu’il n’y a de lumière en effet qu’autant que nos yeux reçoivent cette sensation ; mais on était alors bien loin de connaître ces vérités.

L’idée d’un firmament est encore de la plus haute antiquité. On s’imaginait que les cieux étaient très solides, parce qu’on y voyait toujours les mêmes phénomènes. Les cieux roulaient sur nos têtes, ils étaient donc d’une matière fort dure. Le moyen de supputer combien les exhalaisons de la terre et des mers pouvaient fournir d’eau aux nuages ? Il n’y avait point de Halley qui pût faire ce calcul. On se figurait donc des réservoirs d’eau dans le ciel. Ces réservoirs ne pouvaient être portés que sur une bonne voûte ; on voyait à travers cette voûte, elle était donc de cristal. Pour que les eaux supérieures tombassent de cette voûte sur la terre, il était nécessaire qu’il y eût des portes, des écluses, des cataractes, qui s’ouvrissent et se fermassent. Telle était l’astronomie d’alors ; et puisqu’on écrivait pour des Juifs, il fallait bien adopter leurs idées[1] grossières, empruntées des autres peuples un peu moins grossiers qu’eux.

« Dieu fit deux grands luminaires, l’un pour présider au jour, l’autre à la nuit ; il fit aussi les étoiles. »

C’est toujours, il est vrai, la même ignorance de la nature. Les Juifs ne savaient pas que la lune n’éclaire que par une lumière réfléchie. L’auteur parle ici des étoiles comme de points lumineux, tels qu’on les voit, quoiqu’elles soient autant de soleils dont chacun a des mondes roulants autour de lui. L’Esprit saint se proportionnait donc à l’esprit du temps. S’il avait dit que le soleil est un million de fois plus gros que la terre, et la lune cinquante fois plus petite, on ne l’aurait pas compris : ils nous paraissent deux astres presque également grands.

« Dieu dit aussi : Faisons l’homme à notre image, et qu’il préside aux poissons, etc. »

Qu’entendaient les Juifs par Faisons l’homme à notre image ? Ce que toute l’antiquité entendait :

Finxit in effigiem moderantum cuncta deorum.

(Ovid., Metam., I, 83.)

On ne fait des images que des corps. Nulle nation n’imagina un dieu sans corps, et il est impossible de se le représenter autre-

  1. Les dix derniers mots de cet alinéa ne sont pas dans l’édition de 1765, ni dans celle de 1769 ; Voltaire, dans les Questions sur l’Encyclopédie, en 1771, mit : « Leurs idées empruntées des autres peuples. » La version actuelle est de 1774. (B.)