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GENÈSE.

pourrait dire que les autres animaux ne savent pas qu’ils mourront, mais que l’homme le sait par sa raison. Cette raison est l’arbre de la science qui lui fait prévoir sa fin. Cette explication serait peut-être la plus raisonnable ; mais nous n’osons prononcer. « Le Seigneur dit aussi : Il n’est pas bon que l’homme soit seul, faisons-lui une aide semblable à lui. »

On s’attend que le Seigneur va lui donner une femme ; mais auparavant il lui amène tous les animaux. Peut-être y a-t-il ici quelque transposition de copiste.

« Et le nom qu’Adam donna à chacun des animaux est son véritable nom. »

Ce qu’on peut entendre par le véritable nom d’un animal serait un nom qui désignerait toutes les propriétés de son espèce, ou du moins les principales ; mais il n’en est ainsi dans aucune langue. Il y a dans chacune quelques mots imitatifs, comme coq et coucou en celte, qui désignent un peu le cri du coq et du coucou ; tintamarre, trictrac ; alali en grec, loupous en latin, etc. Mais ces mots imitatifs sont en très-petit nombre. De plus, si Adam eût ainsi connu toutes les propriétés des animaux, ou il avait déjà mangé du fruit de la science, ou Dieu semblait n’avoir pas besoin de lui interdire ce fruit[1] : il en savait déjà plus que la Société royale de Londres et l’Académie des sciences.

Observez que c’est ici la première fois qu’Adam est nommé dans la Genèse. Le premier homme, chez les anciens brachmanes, prodigieusement antérieurs aux Juifs, s’appelait Adimo, l’enfant de la terre, et sa femme Procriti, la vie : c’est ce que dit le Veidam, dans la seconde formation du monde. Adam et Ève signifiaient ces mêmes choses dans la langue phénicienne : nouvelle preuve que l’Esprit saint se conformait aux idées reçues.

« Lorsque Adam était endormi, Dieu prit une de ses côtes, et mit de la chair à la place ; et de la côte qu’il avait tirée d’Adam il bâtit une femme, et il amena la femme à Adam. »

Le Seigneur, un chapitre auparavant, avait déjà créé le mâle et la femelle ; pourquoi donc ôter une côte à l’homme pour en faire une femme qui existait déjà ? On répond que l’auteur annonce dans un endroit ce qu’il explique dans l’autre[2]. On répond encore que cette allégorie soumet la femme à son mari, et exprime leur union intime. Bien des gens ont cru sur ce verset que les hommes

  1. La fin de cette phrase ne fut ajoutée qu’en 1771. (B.)
  2. Les deux phrases qui terminent cet alinéa furent ajoutées, la première en 1771, la seconde en 1774. (B.)